Elle s’est réfugiée ici début décembre, après qu’un chef de milice, le «général Janvier», farouche adversaire des rebelles majoritairement tutsi du M23, est arrivé dans sa ville de Kitshanga, à 90 km au nord-ouest de Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu.
«Nous avons vu des jeunes avec des machettes et des armes, disant qu’ils arrivaient pour tuer les Tutsi», raconte cette femme rencontrée dans un quartier pauvre de Goma, à la frontière rwandaise.
Le M23 s’est emparé ces derniers mois de larges pans d’un territoire du Nord-Kivu, brisant les lignes de défense des forces loyalistes congolaises mais aussi de groupes armés, nombreux dans cette région. La RDC accuse son voisin rwandais de soutenir le M23, ce qu’ont établi des experts de l’ONU et publiquement déclaré les diplomaties américaine et belge, bien que Kigali démente.
Ces tensions ont augmenté la pression sur les Tutsi congolais, que beaucoup accusent de sympathie pour le M23 et considèrent comme des immigrés rwandais plutôt que des natifs du Congo, même s’ils vivent dans les collines du Nord-Kivu depuis des générations.
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Le gouvernement de Kinshasa affirme régulièrement son rejet du tribalisme, soulignant que seul le gouvernement rwandais est à blâmer dans la crise du M23.
Mais la réalité dans l’est du pays, à quelque 1.500 km de la capitale, est souvent différente.
L’AFP a interrogé six Tutsi congolais arrivés récemment à Goma, la plupart de Kitshanga, dans le territoire de Masisi. Cinq disent avoir fui des menaces de mort de la part de miliciens.
«Ça me fait de la peine», se désole la femme de 55 ans, expliquant que tous ses parents sont congolais mais que ses enfants sont accusés à l’école d’être rwandais. «Nos enfants nous demandent: c’est quoi le Rwanda?»
Couper le nez
Une autre femme tutsi, 36 ans, mère de deux enfants, explique simplement vouloir les mêmes droits que tout le monde.
Elle tripote nerveusement son alliance en décrivant pourquoi elle a quitté Kitshanga: «les miliciens remarquent ton nez et menacent de le couper avec un couteau», raconte-t-elle.
Les Tutsi sont souvent stéréotypés comme ayant un nez droit.
Cette femme, qui s’exprime en kinyarwanda - langue parlée au Rwanda ainsi que par de nombreux Tutsi et Hutu congolais - affirme que les miliciens ont pillé sa maison après sa fuite. «Ils disent que chaque Tutsi est un M23. C’est terrible».
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Le M23, pour «Mouvement du 23 mars», a fait parler de lui pour la première fois en 2012, quand il a occupé Goma pendant dix jours, avant d’être vaincu l’année suivante. Il a repris les armes fin 2021, en reprochant à la RDC de ne pas avoir respecté des engagements sur la réinsertion de ses combattants.
L’offensive rebelle a déclenché sur les réseaux sociaux une vague de discours de haine contre les Tutsi, appelant à les chasser vers le Rwanda voire pire.
Emmanuel Runigi Kamanzi, président d’une association d’éleveurs du Nord-Kivu, affirme que ses ancêtres tutsi sont arrivés dans la région au Moyen Age.
«On est chez nous», déclare-t-il, déplorant les tendances extrémistes alimentées selon lui par les groupes armés «maï-maï» et autres «Nyatura» qui disent représenter les Hutu congolais.
Nyatura signifie «ceux qui frappent sans pitié», en kinyarwanda.
«Nous déraciner»
Dans ses déclarations publiques, le M23 accuse les groupes armés et les forces gouvernementales de cibler les Tutsi.
Le lieutenant-colonel Guillaume Ndjike, porte-parole de l’armée congolaise au Nord-Kivu, assure que les soldats n’attaquent pas les Tutsi et que ces allégations sont «des prétextes avancés par l’armée rwandaise».
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Les combattants du M23 sont eux-mêmes accusés d’avoir commis des atrocités. Selon un rapport préliminaire de l’ONU, ils ont tué au moins 131 civils et violé 27 femmes et filles dans deux villages voisins fin novembre.
Des dirigeants tutsi congolais condamnent eux aussi le M23. David Karambi, président d’une association tutsi du Nord-Kivu, déclarait par exemple la semaine dernière à la presse à Goma que ces massacres «ne peuvent même pas être commis par des animaux».
Mais les Tutsi congolais interrogés par l’AFP se sentent injustement accusés, et en danger.
Les milices maï-maï et Nyatura ont menacé de «nous tuer comme ils ont fait aux Tutsi au Rwanda», déclare une femme de 27 ans, également rencontrée dans un quartier de Goma où se sont réfugiés beaucoup de Tutsi.
En 1994 au Rwanda, un génocide a fait selon l’ONU 800.000 morts, parmi les Tutsi et les Hutu modérés.
«Cette guerre, c’est pour nous déraciner», souffle-t-elle, les yeux baissés.