«J’ai passé des nuits blanches, déchirée entre l’idée de fuir en Egypte avec mes quatre enfants ou celle de rester pour accomplir mon devoir», confie-t-elle à l’AFP.
En choisissant de rester auprès, elle n’a pas revu ses enfants depuis deux ans.
Aujourd’hui, elle est l’une des dernières obstétriciennes encore en poste à Khartoum, risquant quotidiennement sa vie pour offrir aux femmes la possibilité d’accoucher en sécurité, alors que l’armée et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) sont en guerre depuis bientôt deux ans.
«Nous puisons notre force dans l’amour de notre pays, la passion de notre métier et le serment que nous avons prêté», explique-t-elle depuis la salle d’accouchement en ruines de l’hôpital saoudien, à Omdourman, ville jumelle de Khartoum.
Elle fait partie de cette cohorte infatigable de médecins, infirmières, techniciens et personnel d’entretien rencontrée par l’AFP dans les derniers hôpitaux encore en activité à Omdourman.
Tout au long du conflit, les hôpitaux de la capitale ont été bombardés, les blocs opératoires transformés en champs de bataille et de nombreux soignants ont perdu la vie. Pourtant, malgré les bombes et les balles, le personnel soignant est resté fidèle à son poste.
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Bouthaina Abdelrahman, agent de nettoyage à l’hôpital al-Naou depuis 27 ans, s’est réfugiée dans un quartier voisin durant les 48 premières heures du conflit, sans manquer un seul jour de travail. «Je marchais chaque jour deux heures pour aller à l’hôpital et deux heures pour en revenir», relate-t-elle.
Menacés
Des combattants ont accusé le personnel médical de collaborer avec leurs rivaux et les ont menacés pour qu’ils privilégient leurs frères d’armes.
«Des professionnels de santé ont été attaqués, enlevés, tués ou pris en otage contre rançon», dit à l’AFP le Dr Khalid Abdelsalam, coordinateur de projet à Khartoum pour Médecins sans frontières.
Dans les zones de conflit, jusqu’à 90 % des hôpitaux ont été contraints de fermer, et au moins 78 professionnels de santé ont été tués depuis avril 2023, selon le Syndicat des médecins soudanais.
«A un moment donné, il n’y avait plus un seul IRM en fonction dans le pays», confie le Dr Abdelsalam. Et pourtant, le personnel soignant a constitué la première ligne de défense dans cette guerre qui a fait des dizaines de milliers de morts et déraciné plus de 12 millions de personnes.
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Khansa al-Moatasem dirige une équipe de 180 personnes à al-Naou, seul hôpital d’Omdourman encore opérationnel.
«Je suis fière de donner à cet hôpital tout ce que j’ai appris», raconte-t-elle.
A l’entrée de l’établissement, touché à trois reprises, un panneau indique: «Aucune arme autorisée», un avertissement souvent ignoré.
Lorsque les FSR se sont emparées de la maternité de l’hôpital saoudien voisin au début du conflit, la directrice a décidé de les rencontrer.
«J’ai expliqué à leur commandant que cet hôpital était dédié aux femmes et à la maternité», raconte le Dr Safaa Ali. «Le lendemain, ils sont venus en plus grand nombre.»
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Après un bombardement en juillet 2023, l’établissement a été contraint de fermer lorsque ses plafonds se sont effondrés. Son matériel a été pillé et ses murs criblés de balles.
Ne baissant pas les bras, le Dr Ali a installé des unités mobiles et une salle de maternité temporaire à al-Naou, jusqu’à ce que l’hôpital saoudien rouvre partiellement ce mois-ci.
«L’apogée de ma carrière»
Bien qu’un semblant de normalité ait été observé avec la reprise par l’armée d’une grande partie d’Omdourman début 2024, les hôpitaux ont continué à être pris pour cible. En février, l’hôpital al-Naou a été bombardé par les FSR alors que les médecins soignaient les victimes d’une attaque ayant fait plus de 50 morts.
Durant 40 ans, la pédiatre Fathia Abdelmajed a exercé en libéral, mais avec la guerre, elle est devenue la «mère» de l’hôpital al-Buluk. Depuis novembre 2023, elle forme des équipes de jeunes médecins.
«Ils font un travail formidable, sans relâche», déclare-t-elle, en se disant fière d’exercer aux côtés de son équipe. «C’est l’apogée de ma carrière».