Cette fois-ci, la tension a dépassé les limites suite aux violences entre Tunisiens et migrants subsahariens entrainant la mort d’un Tunisien et de vives tensions entre les habitants de Sfax et les migrants subsahariens. Suite à ce décès, les migrants ont été chassés de cette ville et certains ont été largués à la frontière tuniso-libyenne, dont des femmes et des enfants, à la manière de la politique adoptée par l’Algérie au niveau de sa frontière avec le Niger.
Après le décès du Tunisien, la police a raflé des migrants subsahariens avant de les transporter vers la frontière tuniso-libyenne où des dizaines d’entre eux ont été abandonnés. D’autres l’ont été à la frontière tuniso-algérienne. Les images partagées sur les réseaux sociaux montrant des migrants, dont des femmes, des enfants et des bébés, abandonnés en plein désert sans nourriture inquiètent sur le sort de ceux-ci.
En dépit de ces images choquantes, le président tunisien Kaïs Saied n’a pas hésité à souligner que la Tunisie protège et aide les Subsahariens, lorsqu’il a reçu la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, le samedi 8 juillet, pour aborder avec elle la question des migrants subsahariens qui sont installés en Tunisie. Selon le président tunisien, contrairement à ce qui est rapporté par les «comploteurs de l’étranger» et leurs «larbins» en Tunisie, les migrants subsahariens sont traités de façon civilisée, conformément aux directives de la religion et de la société tunisienne, tout en soulignant que les migrants subsahariens ne viennent pas en Tunisie pour y rester, mais sont des victimes des lobbies du trafic des êtres humains.
Seulement, les déclarations du président tunisien sont en contradiction avec la réalité. Les images des migrants chassés de Sfax et abandonnés à leur sort dans le désert font le tour des réseaux sociaux. Une situation dénoncée aussi bien par les ONG étrangères que tunisiennes.
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Human Rights Watch (HRW) a ainsi exhorté Tunis à mettre fin aux «expulsions collectives» de migrants africains dans le désert. Selon l’ONG, «les forces de sécurité tunisiennes ont expulsé collectivement plusieurs centaines de migrants et demandeurs d’asile africains, dont des enfants et des femmes enceintes, depuis le 2 juillet 2023, vers une zone tampon éloignée et militarisée à la frontière entre la Tunisie et la Libye». Toujours selon l’ONG, «de nombreuses personnes ont rapporté des violences de la part des autorités lors de l’arrestation ou de l’expulsion de Subsahariens».
En tout cas, les images partagées sur les réseaux sociaux par les expulsés vers la frontière libyenne montrent des migrants exténués, dont des femmes et des enfants, allongés sur le sable sous un soleil brûlant.
Certaines ONG tunisiennes alertent sur cette situation critique et demandent de porter secours aux migrants subsahariens sur le sol tunisien. C’est le cas de la Coordination nationale des mouvements sociaux qui a invité les citoyens tunisiens et les organisations nationales et internationales à porter secours aux migrants subsahariens sur le sol tunisien. Elle demande à ce qu’on offre une assistance humanitaire aux migrants affectés par la soif, la faim et les maladies durant cette période caniculaire.
La coordination s’en prend à «toutes les formes de discrimination raciale et de violence exercées» contre ces migrants en Tunisie et à l’étranger, ajoutant que l’Etat tunisien a la responsabilité de veiller sur l’intégrité physique des migrants subsahariens.
De même, l’association tunisienne Beity, qui vient en aide aux femmes victimes de violences, a lancé un appel pour la mise en place d’une aide d’urgence en faveur des migrants expulsés de Sfax et qui sont actuellement dans le désert aux frontières algérienne et libyenne. L’ONG parle d’une «véritable chasse à l’homme allant jusqu’à l’expulsion et la déportation aux portes du Sahara».
Pour l’heure, les autorités tunisiennes cherchent des soutiens de la part de leurs voisins maghrébins, la Libye et l’Algérie. Ainsi, le ministre de l’Intérieur tunisien, Kamel Feki, s’est entretenu, le vendredi 7 juillet, avec l’ambassadeur d’Algérie en Tunisie, Azouz Baal. L’entretien a notamment porté sur la sécurité, les zones frontalières des deux pays et notamment la migration clandestine. Le lendemain, un entretien téléphonique entre Nabil Ammar, ministre des Affaires étrangères, de la migration et des Tunisiens à l’étranger, et son homologue libyenne, Najla El-Mangoush, a porté aussi sur cette migration clandestine et les deux parties ont reconnu l’urgence de trouver des réponses à l’afflux des migrants subsahariens au niveau des frontières tuniso-libyennes. Les deux parties sont convenues de régler le problème du flux migratoire.
En tout cas, la situation des migrants subsahariens en Tunisie inquiète. Il faut souligner que depuis le discours «haineux et raciste» du président Kaïs Saied de février dernier, dans lequel il avait fait état d’une menace démographique pour son pays en parlant de «hordes de migrants clandestins» relevant d’une «entreprise criminelle ourdie à l’orée du siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie», la situation des migrants d’Afrique subsaharienne, aussi bien réguliers qu’irréguliers, en Tunisie est devenue difficile.
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Certains étudiants qui poursuivaient leurs études supérieures en Tunisie et qui étaient en situation régulière ont même préféré arrêter leurs études en pleine année universitaire et quitter le pays à cause de l’insécurité et de l’amalgame fait entre ceux qui sont régulièrement installés et les migrants illégaux.
Quant aux migrants irréguliers, un faible nombre a opté pour les opérations de rapatriement mis en place par certains pays d’Afrique de l’ouest (Côte d’Ivoire, Sénégal, Guinée, Mali, Burkina Faso…). Malheureusement, ces migrants clandestins, arrivées aux portes de l’Europe au péril de leur vie, ne comptent pas retourner dans leurs pays, à quelques kilomètres de leur supposé «eldorado».