«A bas le coup d'Etat, le peuple veut la fin du coup d'Etat», ont crié les manifestants rassemblés sur l'avenue Mohamed V, dans le centre-ville de Tunis. Selon des journalistes de l'AFP sur place, leur nombre a augmenté progressivement jusqu'au millier, avant qu'ils ne se dispersent en plusieurs groupes.
Un imposant dispositif policier, à grand renfort de barrières métalliques, de camions et d'unités anti-émeutes, a été mis en place pour empêcher les manifestants d'accéder à l'artère principale de la capitale, l'avenue Habib Bourguiba.
Des manifestants ayant réussi à briser un cordon policier ont été dispersés à coups de matraque et gaz lacrymogènes et avec des jets d'eau sale. Les forces de sécurité ont procédé à des interpellations lors des scènes d'une rare violence au coeur de Tunis depuis la chute de Zine el-Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011 pendant la révolution, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Une cinquantaine de personnes sont aussi parvenues à se rapprocher des bâtiments du ministère de l'Intérieur dans une rue adjacente de l'avenue Habib Bourguiba.
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«Tu travailles pour (Abdel Fattah) al-Sissi et les Emirats» arabes unis, a lancé une femme à l'adresse d'un policier. Le président égyptien et les Emirats sont accusés par les détracteurs de Saied d'avoir soutenu son coup de force du 25 juillet lorsqu'il s'est arrogé les pleins pouvoirs.
Malgré l'interdiction décrétée par les autorités en raison d'une forte résurgence de l'épidémie de Covid-19, plusieurs partis politiques, dont la formation d'inspiration islamiste Ennahdha, avaient annoncé le maintien de leurs rassemblements vendredi pour protester contre «le coup d'Etat» de Saied et marquer l'anniversaire de la chute de Ben Ali.
"Le diktat d'un dictateur"
«La révolution a été gommée du calendrier par le diktat d'un dictateur», a protesté auprès de l'AFP la militante des droits humains Sihem Bensedrine, après la suppression par Saied du jour férié du 14 janvier, au motif que, selon lui, la révolution serait «inachevée» et qu'il aurait pris le relais.
«On ne réécrit pas l'histoire comme on veut, nous sommes là pour défendre les institutions de la République», a-t-elle dit, dénonçant l'interdiction des rassemblements comme «une tactique policière et sécuritaire pour spolier les Tunisiens de leur droit de manifester».
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La militante a évoqué une «liberté chèrement acquise», estimant que «ce peuple qui a fait chuter une dictature ayant duré 23 ans ne laissera pas une dictature se réinstaller».
Même colère de la part de Sofiane Ferhani, frère d'une victime de la révolution de 2011 et responsable d'une association de blessés. «De quel droit le président s'est permis de toucher au 14 janvier? On ne laissera pas faire, ce jour est trop cher à nos yeux», a-t-il dit.
"Anéantir ce qui reste"
Ennahdha avait appelé à manifester pour rejeter «l'instrumentalisation politique de la situation sanitaire» visant, selon ce parti, à «anéantir ce qui reste des droits et libertés fondamentaux».
Cette formation est dans le viseur du président qui a suspendu le Parlement qu'elle contrôlait depuis une dizaine d'années.
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Ces nouvelles manifestations contre le président surviennent alors que les tensions entre Ennahdha et Saied -déjà très vives depuis le coup de force de juillet- sont montées d'un cran après l'arrestation le 31 décembre et l'hospitalisation sous surveillance policière de l'un des hommes forts du parti, l'ancien ministre de la Justice Noureddine Bhiri.
Jawhar Ben Mbarek, une figure de la gauche tunisienne à la tête d'un collectif d'opposants à ce qu'ils dénoncent comme un «coup d'Etat» du président Saied, était également présent vendredi aux manifestations.
La révolution tunisienne, coup d'envoi des révoltes du Printemps arabe ayant secoué plusieurs pays du Moyen-Orient, avait commencé le 17 décembre 2010, jour de l'immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant excédé par la pauvreté et les humiliations policières.