A fin 2021, la dette tunisienne a atteint un pic de 100 milliards de dinars, soit environ 30 milliards d’euros, correspondant à un taux d’endettement de 100% du PIB du pays. La Tunisie dépasse ainsi très largement le seuil d’endettement de 70% jugé soutenable par les institutions financières internationales. Et malheureusement, ce taux devrait continuer à progresser dans les années à venir à cause des déficits budgétaires grevés par des services de la dette colossaux qui seront financés par des emprunts intérieurs et extérieurs. Or, avec une dette devenue insoutenable et une nécessité de recourir encore à l’endettement pour faire face au déficit, la Tunisie se retrouve dans un véritable cercle vicieux auquel le gouvernement doit faire face.
Seulement, pour le moment, les bailleurs de fonds semblent tourner le dos à la Tunisie. C’est le cas du Fonds monétaire international, un des principaux bailleurs de fonds du pays, qui exige cette fois-ci que le gouvernement engage de véritables réformes avec l’accord de toutes les parties prenantes (patronat, syndicat…) avant d’accorder un nouveau prêt à l’Etat tunisien. Et après avoir été roulé dans la farine par les précédents gouvernements, qui ont obtenu ses prêts sans entreprendre par la suite de reformes structurelles, cette fois-ci l'institution exige des garanties avant de débourser quelle que somme que ce soit.
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Pour le moment, les deux parties continuent de négocier, sans succès. Le gouvernement tunisien doit convaincre le syndicat UGTT de l’impérieuse nécessité d’accepter les réformes exigées par le FMI. En décembre dernier, les autorités s’étaient engagées à une série de réformes dont le gel des recrutements et des salaires, des départs à la retraite anticipés pour réduire l’effectif des fonctionnaires, l’élimination progressive des subventions sur les produits énergétiques pour atteindre la vérité des prix à l’horizon 2026, l’élimination des subventions sur les produits de première nécessité… Autant de décisions qui demandent des négociations serrées avec l’UGTT. De même, le FMI exige de réformer les entreprises publiques déficitaires.
Seulement, ces réformes sont impopulaires et risquées pour un président qui a tourné le dos à la classe politique et qui est très critiqué par les puissances occidentales qui lui ont globalement fermé les financements. C’est dire que la marge de manœuvre est faible pour les autorités tunisiennes.
Et l'inquiétude grandit avec le risque que les discussions se terminent sur un échec au moment où certains partenaires bilatéraux ont opté pour la suspension de certains de leurs financement à cause des aléas politiques. Ce qui va poser un problème de financement du budget de l'Etat.
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Ainsi, la Tunisie, qui s’est surtout endettée auprès des organismes multilatéraux (FMI, Banque mondiale, BAD…) qui concentrent plus de 55% des emprunts du pays, devant les partenaires bilatéraux (20%) et les marchés internationaux (25%), a fortement besoin de cet accord pour améliorer son matelas de devises et pouvoir sortir sur le marché de la dette privée dans de meilleures conditions.
Et sans ce prêt de la part du FMI, il sera difficile d’en obtenir d'autres de la part de la Banque mondiale et encore moins d'autres institutions financières internationales qui redoutent toutes l’impossibilité pour la Tunisie de faire face aux échéances de son service de la dette.
La dégradation de la notation du pays tout dernièrement par Moody’s montre clairement que le risque de défaillance est réel. En octobre dernier, cette agence de notation a dégradé la note souveraine de la Tunisie de B3 à Caa1, soulignant ainsi le risque élevé que la Tunisie ne rembourse pas certaines de ses dettes. Ainsi, les investisseurs privés qui accepteront d’accorder des prêts au pays le feront à des conditions draconiennes, c’est-à-dire à des taux d’intérêt élevés pour couvrir le risque encouru. Ce qui va tout simplement alourdir le service de la dette. Et pour le moment, tous les bailleurs semblent attendre un éventuel accord entre la Tunisie et le FMI pour avoir plus de visibilité.
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L’insoutenabilité de la dette tunisienne est bien réelle. En effet, pour que la Tunisie arrive à rembourser sa dette sans risque, il lui faut réaliser un excédent annuel autour de 5 milliards de dollars. Or, le pays cumule les déficits. A fin septembre 2021, le déficit budgétaire en baisse de 23%, par rapport à la même période de 2021 ressortait à 3,8 milliards de dollars. Seulement, durant cette même période, le service de la dette publique a augmenté de 32% pour atteindre 10,7 milliards de dinars, soit 3,71 milliards de dollars.
Et en 2022, le gouvernement prévoit un déficit budgétaire de 3,1 milliards de dollars, soit 6,7% du PIB tunisien. Le pays a prévu de s’endetter à hauteur de 5,7 milliards d’euros pour couvrir les dépenses du budget et les besoins de trésorerie.
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Et une partie des emprunts futurs ne serviront d’ailleurs que pour payer le service de la dette (capital et intérêt). C’est dire que les marges de manœuvre du gouvernement seront limitées. Les recettes fiscales de plus en plus maigres, à cause de la conjoncture économique difficile qui affecte la rentabilité des entreprises, devront faire face à une masse salariale colossale que l’Etat a du mal à réduire. D’ailleurs, c’est l’une des réformes exigées par le FMI pour accorder un important prêt à la Tunisie estimé autour de 4 milliards de dollars. En effet, les salaires des 680.000 fonctionnaires, pour une population de 12 millions d’habitants, pèsent très lourd dans le budget de l’Etat. L’institution exige donc une baisse importante de cet effectif pléthorique.
Après avoir été «trompée» par les précédents gouvernements tunisiens qui ont obtenu des prêts sans pour autant entreprendre des réformes auxquelles ils se sont engagés, l’institution de Breton Woods exige désormais des garanties solides de la mise en place des réformes pour desserrer les cordons de la bourse. Et la décision de la mission virtuelle d’une semaine du FMI qui s’achève ce mardi 22 février devrait peser lourd dans la balance. mais en cas de succès, le financement du FMI pourrait rouvrir le robinet d’autres institutions dont la Banque mondiale et faciliter le retour du pays sur le marché international des capitaux.