C'est un vieux classique tunisien que se joue en ce dixième anniversaire de la chute du président Zine el Abidine Ben Ali. Comme l'ancien président déchu, l'actuel Premier ministre Hichem Mechichi a dit à l'endrot d'une rue en colère, comprendre la la légitimité des contestation, tout en prônant la fermeté.
"La crise est réelle et la colère est légitime et les protestations aussi, mais la violence est inacceptable et nous y ferons face avec la force de la loi", a déclaré M. Mechichi lors d'un discours télévisé mardi soir.
"Votre voix est entendue et le rôle du gouvernement est de transformer vos revendications en réalité", a-t-il ajouté, mais le droit de manifester "ne doit pas se transformer en droit de piller, voler ou casser".
Les troubles avaient éclaté dans plusieurs régions vendredi, au lendemain du dixième anniversaire de la chute de Zine el Abidine Ben Ali, chassé du pouvoir par la foule le 14 janvier 2011.
Tous les soirs depuis, dans des zones défavorisées, des protestataires, jeunes pour la plupart, se réunissent après le couvre feu en place depuis octobre pour lutter contre la pandémie de coronavirus. Ils jettent des pierres et quelques feux d'artifice ou cocktails Molotov sur la police, qui tire d'importantes quantités de gaz lacrymogènes.
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Mardi soir, la situation semblait calme à Ettadhamen, vaste quartier populaire en périphérie de Tunis où des accrochages ont eu lieu ces derniers jours, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Lundi, le ministère de l'Intérieur a fait état de plus de 600 arrestations.
Ces troubles, que de nombreux responsables politiques affirment n'être que le fait de délinquants, ont été suivis mardi par des manifestations contre la classe politique et la répression policière, rassemblant quelques centaines de personnes à Tunis et à Sfax.
"Travail, dignité, liberté nationale", ont notamment scandé les manifestants, reprenant des slogans de la révolution, rassemblés via des appels lancés sur les réseaux sociaux, en dépit l'interdiction de rassemblement décrétée pour des raisons sanitaires.
"Le désespoir s'est généralisé. Le virus s'ajoute à la pauvreté et au chômage. Dix ans après (la révolution, NDLR), nos demandent ne se concrétisent pas", a déploré Donia Mejri, 21 ans, étudiante en sciences humaines.
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A Tunis, ils ont été repoussés par la police qui a tiré des gaz lacrymogènes dans l'après midi sur la principale avenue de la ville, haut lieu du pouvoir devenu depuis 2011 un lieu de contestation.
"Nous voulons nos droits"
"Nous ne voulons ni détruire ni voler. Nous voulons nos droits, et nous n'arrêterons pas avant que ce gouvernement parte", a affirmé à Sfax Ghazi Tayari, membre de la société civile.
Les troubles nocturnes ont eu lieu depuis vendredi malgré un couvre-feu à partir de 20 heures, en vigueur depuis octobre pour tenter d'endiguer la pandémie de nouveau coronavirus.
Ces heurts interviennent alors que la pandémie a détruit des milliers d'emplois, et désorganisé les écoles, où les élèves ne vont plus qu'un jour sur deux depuis septembre, après un semestre de fermeture complète.
La classe politique, paralysée par ses divisions, peine à agir face à l'urgence sociale, alors que les réformes réclamées de longue date pour relancer l'économie et mieux répartir les richesses ne se sont pas concrétisées.
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Le gouvernement, constitué avec peine en septembre, et largement remanié samedi, est en attente d'un nouveau vote de confiance.
"Il y a un déni et une sous-estimation de la colère parmi les jeunes, notamment parce que les onze gouvernements qui se sont succédé (depuis la chute de Ben Ali) n'ont pas eu de stratégie pour répondre à la question centrale de l'emploi", souligne Olfa Lamloum, directrice de l'ONG International Alert en Tunisie, qui travaille dans les zones les plus marginalisées du pays.
"Tant qu'il y a une réponse uniquement sécuritaire, avec des arrestations massives, et pas de réponse sociale ou politique, les tensions vont rester vives", estime Mme Lamloum.
L'instabilité politique et le manque de perspectives économiques, avec un recul historique du Produit intérieur brut de 9% annoncé pour 2021, ont alimenté un pic de départs illégaux vers l'Europe, où les Tunisiens ont été en 2020 la principale nationalité à arriver sur les côtes italiennes.