Les investissements hasardeux des groupes algériens en Europe se multiplient

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Le 08/11/2018 à 09h59, mis à jour le 08/11/2018 à 10h00

Après son échec retentissant en Italie, l'homme d'affaires Issad Rebrab place désormais ses billes en France dans une technologie qu'aurait développée son groupe, Cevital, pour la production d'eau potable.

Le fait est si déroutant qu'il doit être souligné: les investisseurs algériens préfèrent l'Europe à leur pays. Alors qu'en Algérie, la plupart des marchés sont remportés par les Chinois et les Turcs, qui ne se privent pas d'importer du personnel pour les exécuter, les Algériens, eux, se tournent vers l'Europe.

Et il ne s'agit pas de menu fretin, mais de gros investissements qui auraient pu créer des milliers d'emplois dans leur propre pays. L'expérience leur a pourtant montré qu'on peut sérieusement douter de la pertinence de ces projets, mais les dirigeants algériens et les capitaines d'industrie foncent tête baissée vers le vieux continent, comme l'auraient fait des haragas. 

La dernière annonce d'investissements pharaoniques algériens en Europe concerne l'homme d'affaires Issad Rebrab et a été faite hier mercredi 7 novembre.

Ainsi, le groupe Cevital que dirige celui qui détient la première fortune du Maghreb selon le classement du magazine Forbes, compte investir plusieurs dizaines de millions d'euros et créer un millier d'emplois à Charleville-Mézières. Rien que cela. Emmanuel Macron, qui était en visite dans la région touchée par la fermeture des usines de Peugeot, ne s'est d'ailleurs pas privé de faire une déclaration dans ce sens. Car, faut-il le rappeler, c'est dans ces mêmes locaux, désormais vides, de PSA que seront installées les usines de Cevital destinées à des composantes et machines pour l'industrie de l'eau potable. 

Selon le magazine industriel française Usine Nouvelle, cet "investissement concernerait la fabrication de membranes et de stations de production d'eau ultra-pure, de dessalement d'eau de mer et de traitement des eaux industrielles. Dans le traitement de l'eau, le concept mis au point par Cevital, baptisé EvCOM, a déjà permis de mettre en oeuvre des brevets, de produire des membranes et de créer des stations de traitement des eaux".

De toute évidence, il s'agit d'une nouvelle technologie qui n'a pas fait ses preuve ailleurs. Mais Cevital pense ainsi pouvoir révolutionner le domaine de l'eau potable. "C'est dans les Ardennes que Cevital va développer cette technologie utile, notamment pour l'industrie pharmaceutique, la chimie, l'agroalimentaire et l'industrie des semi-conducteurs", poursuit le média français, qui cite le milliardaire algérien lors d'une récente rencontre avec les "représentants du Medef français, il y a quelques mois en Algérie".

L'avenir nous dira si ce nouvel investissement, présenté comme prometteur, est rentable. Son précédent investissement, réalisé en Italie à coup de centaines de millions d'euros, ne l'a guère étéguère.

Issad Rebrab a été contraint de se débarrasser de son complexe sidérurgique Luccini, basé à Piombino et de le céder à l'Indien Jindal Steel&Power (JSW). Les banquiers italiens, qui devaient initialement l'accompagner pour la réalisation de son ambitieux plan d'investissement ont finalement estimé que ce projet requérait plus de sagesse et de prudence.

Ils ont donc décidé de ne pas suivre le milliardaire. En Algérie, non plus d'ailleurs. Aucune banque n'a voulu s'y risquer, ce qui a fait dire à l'entourage du milliardaire que le gouvernement s'opposait à ses investissements à l'étranger.

Quoi qu'il en soit les Italiens ne verront finalement pas les 400 millions d'euros d'investissements que leur avaient fait miroiter celui qui avait reçu, en 2016, le prix de la Personnalité de l'année à Venturina en Toscanie. 

En Algérie, Issad Rebrab et les haragas ne sont pas les seuls à vouloir se lancer un défi européen. La Sonatrach, première entreprise africaine de par son chiffre d'affaires, est elle aussi attirée par l'Eldorado de l'autre rive de la Méditerranée. Ainsi, la compagnie pétrolière a décidé d'acheter au printemps dernier une raffinerie qui avait l'âge de son PDG, soit 69 ans.

En effet, la raffinerie d'Augusta en Sicile, appartenant à Esso Italiana, elle-même filiale de la major américaine Exxon Mobil, avait été construite en 1949. Sonatrach avait déboursé 700 millions d'euros pour en être le proprétaire, là où il fallait au bas mot 4 milliards d'euros pour avoir une raffinerie neuve de même taille. Si les Américains ont estimé que ce prix leur convenait, c'est parce que l'usine sicilienne n'était pas du tout rentable, était dépassée et allait être un gouffre financier. 

De plus, alors que le taux de chômage en Algérie est de 13%, on pourrait se demander quelle serait la pertinence, pour un groupe appartenant à l'Etat, d'aller financer le maintien de centaines d'emplois dans un pays dit riche, en tout cas développé?

Pourquoi la Sonatrach paierait-elle des impôts à l'Etat italien pour produire des dérivés d'hydrocarbures, alors que l'Etat Algérien croule sous un déficit de plus de 4 milliards de dollars?

Enfin, qu'est-ce qui justifie que l'Algérie, qui importe l'équivalent de 2,5 milliards de dollars de produits raffinés par an, aille investir dans une production en off-shore pour la réimporters?

Autant de questions auxquelles le PDG de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, n'a su répondre. Peut-être bien que l'on assiste, dans le monde des affaires, aux premières entreprises que l'on pourrait qualifier de "réfugiées climatiques". Car la seule raison qui pousse les capitaux algériens à traverser la Méditerranée, c'est bien un "climat des affaires" décidément bien peu amène... 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 08/11/2018 à 09h59, mis à jour le 08/11/2018 à 10h00