Vidéo. Algérie: Ouyahia fait sauter un tabou en appelant les «pieds noirs» à la rescousse

VidéoAhmed Ouyahia ne rechigne devant rien. Face à l’échec des opérateurs économiques algériens à développer leurs activités export, le Premier ministre algérien leur demande d’imiter «les voisins» et, surtout, de s’appuyer sur les «pieds noirs». Une première en Algérie depuis l'indépendance.

Le 02/06/2018 à 17h48, mis à jour le 02/06/2018 à 17h50

Comment les exportateurs algériens peuvent-ils conquérir l’Afrique? Le Premier ministre Ahmed Ouyahia vient de donner des pistes aux opérateurs économiques algériens pour dynamiser leurs exportations vers l’Afrique.

Dans un discours prononcé lors de la cérémonie du «Trophée export 2017», récompensant la meilleure entreprise export du pays, hors hydrocarbures, le Premier ministre algérien a souligné qu’il était nécessaire que les opérateurs suivent les exemples des «pays voisins», sous-entendu le Maroc et la Tunisie, sans les citer bien évidemment. «Nos voisins ont senti le besoin d’exporter il y a plusieurs décennies», a-t-il souligné.

Mais la nouveauté du discours du dirigeant algérien réside en l’appel à la rescousse fait aux «Pieds noirs» ou «Anciens d’Algérie», les descendants des colons français, pour aider les opérateurs économiques algériens à conquérir les marchés africains. «Je vous invite à regarder vers des communautés d’anciens d’Algérie qui peuvent vous ouvrir des portes», dixit Ouyahia.

C’est la première fois depuis 56 ans et le départ forcé de la communauté des pieds noirs qu’un très haut responsable algérien appelle cette communauté à «aider l’Algérie». Ainsi, cette communauté vouée longtemps aux gémonies devient subitement un levier sur lequel il faut s’appuyer pour dynamiser les exportations des opérateurs algériens. Ainsi, hanté par la baisse continue des réserves de change du pays, tous les moyens sont bons pour sortir de cette, y compris renoncer aux tabous. 

Et pour les marchés, les débouchés sont toutes trouvées: les pays africains. «J’ai consacré presque 20 ans de ma carrière à l’Afrique. Je sais ce que pèsent nos compatriotes comme capacités d’ouvertures de portes en Afrique, et ce que pèsent aussi d’anciens d’Algérie, la communauté des pieds noirs pour approcher des marchés».

Seulement, est-ce que le fait de s’appuyer sur les pieds noirs, ce qui est une reconnaissance d’un aveu d’incompétence des opérateurs algériens à conquérir seuls les marchés africains, est suffisant pour faire de l’Algérie un exportateur important à l’image de son voisin marocain. En effet, pour exporter il faut d’abord disposer de produits en quantité et qualité suffisantes et de banques qui accompagnent les opérateurs économiques aussi bien en Algérie que dans les pays africains. Ce qui est loin d’être le cas.

En effet, les hydrocarbures représentent plus de 95% des recettes des exportations algériennes. Le reste est constitué essentiellement de quelques produits agroalimentaires, d’électroménager et tout récemment du ciment. Des produits qui sont loin d’être compétitifs sans le parapluie de l’Etat. Quant aux banques algériennes, surprotégées au niveau local, elles sont absentes au niveau continental.

En plus, la stratégie algérienne reste incohérente. Comment vouloir fermer son marché aux importations et vouloir en même temps conquérir les marchés des pays africains? Dernièrement, les opérateurs ivoiriens du café –producteurs et négociants- avaient bloqué les chargements du café robusta ivoirien à destination de l’Algérie parce que le pays de Bouteflika, qui absorbe 70% du café ivoirien, avait décidé de mettre en place des mesures draconiennes pour freiner les importations de café ivoirien.

Outre les restrictions à l’importation, l’Algérie avait aussi imposé une caution de 120% des cargaisons pour le café, poussant les opérateurs ivoiriens à bloquer les chargements de café à destination de l’Algérie en mars dernier au port de San Pedro.

Bref, même en s’appuyant sur les pieds noirs, Algérie aura du mal à devenir un exportateur à l’instar de ses voisins tant que son marché sera fermé aux investisseurs étrangers et aux produits étrangers.

Le Maroc et la Tunisie, qui s’appuient sur leurs propres opérateurs économiques, ont développé des courants d’affaires avec le continent en ouvrant leur marché à la concurrence, ce qui a permis aux entreprises locales d’améliorer leur compétitivité et d’offrir des produits de qualité. Les deux pays disposent aussi de marchés financiers relativement développés et de banques fortement présentes en Afrique, notamment pour le Maroc, et qui accompagnent les opérateurs aussi bien du Maroc que des pays d’Afrique subsaharienne. 

Par Karim Zeidane
Le 02/06/2018 à 17h48, mis à jour le 02/06/2018 à 17h50