Cette déclaration relève de l'euphémisme, mais de la part d’un ministre algérien, de surcroît des Finances, cela mérite d’être relevé, surtout après les multiples et récentes sorties du ministre de l’Energie, Mohamed Arkab, les unes se voulant plus rassurantes que les autres.
Le ministre des Finances, Abderahmane Raouya, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère pour énoncer ses vérités: «la situation n’est pas confortable, il ne faut pas se mentir». Tout est dit, ou presque. Et pour les explications concernant la délicate situation que traverse le pays, la faute en incombe à «l’effondrement des revenus pétroliers du pays, conjugué à la crise du coronavirus».
On est loin des assurances du ministre de l’Energie qui avançait, lors d’une émission de l’ENTV (chaîne nationale) le jeudi 23 avril, que «les cours du pétrole reviendront à leurs niveaux habituels», notamment à partir du «deuxième semestre de l’année 2020», énonçant des niveaux de prix proches de ceux de la fin 2019, alors que la dernière sortie des experts du Fonds monétaire international (FMI) annonçait un cours du baril de pétrole bas jusqu'en 2022, et ne dépassant pas les 45 dollars. Or, rien que pour l’équilibre de son budget, l’Algérie a besoin d’un cours du baril de pétrole avoisinant les 106 dollars.
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Seulement, l’Algérie, grâce à une politique rentière pratiquée depuis plusieurs décennies ne compte que sur les hydrocarbures pour faire fonctionner son économie et acheter la paix sociale à coup de milliards tout en permettant à sa classe dirigeante, aux généraux et aux oligarques de tirer profit de cette manne.
La diversification économique a été oubliée et l’initiative privée délaissée entre les mains de quelques oligarques protégés par l’appareil militaro-politique. Conséquence, les hydrocarbures assurent 95% des recettes d’exportation du pays et 60% des ressources du budget de l’Etat.
Et avec un prix du baril de pétrole qui tourne actuellement autour de 25 dollars pour le Brent de la mer du Nord, mais qui s'avère plus bas encore pour le pétrole algérien, les recettes pétrolières seront, dans le meilleur des cas, divisées par deux, cette année, comparativement à l’année précédente.
C’est dire que le déficit budgétaire de 6% prévu par la loi de Finances 2020 va déraper dangereusement. En pour cause, le «point mort fiscal», c’est-à-dire le prix en dessous duquel le budget est dans le rouge, se situe à 109 dollars le baril pour l'Algérie, soit l'un des plus hauts niveaux au monde. Le gap entre le cours actuel du baril et le "point mort fiscal" est énorme.
Selon Bloomberg News, ce déficit va même dépasser le seuil des 20% du PIB cette année.
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Conséquence, à cause de la chute du baril de pétrole depuis 2014 et surtout en ce début d'année à cause du coronavirus, la situation financière du pays est mise à nue. Les recettes d’exportation s’affaiblissent de manière inquiétante sous l’effet combiné de la baisse des volumes exportés à cause d’une demande mondiale de pétrole réduite par la stagnation de l’économie mondiale et l’épuisement des puits pétroliers et gaziers du pays faute d’investissement. Les réserves en devises diminuent de manière inquiétante du fait de la baisse des recettes des exportations et du déficit de la balance commerciale.
A noter que durant les deux premiers mois de l’année, le déficit commercial a augmenté de 80%, par rapport à la même période de l’année dernière, qui a fait reculer les recettes des exportations des hydrocarbures de 28,2%. Une situation qui va s’aggraver durant les deux mois suivants –mars et avril- à cause d'un cours du baril de pétrole tombé à un niveau historiquement bas.
C’est dire que les réserves de change du pays seront rudement mises à l’épreuve en 2020. Bloomberg News avance qu'elles tomberont à moins de 13 milliards de dollars d’ici la fin de l’année 2020. Et dire qu'en 2014, elles avaient atteint 194 miliards de dollars!
Du coup, la seule alternative après l’exclusion de l’endettement, reste le gel des dépenses. «Nous gérons la situation de façon précise, notamment à travers la rationalisation des dépenses, qui se poursuit», a expliqué Raouya, ajoutant qu’un travail au jour le jour est fait pour gérer la réduction des recettes de l’Etat.
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A ce titre, le ministre a sollicité le personnel de l’administration fiscale à redoubler d’efforts pour augmenter le recouvrement des recettes fiscales. Seulement, en ces temps de crise, ce ne sont pas les entreprises, en train de lutter pour survivre, qui vont sauver les recettes de l’Etat. Beaucoup d’entreprises aussi bien publiques que privées sont durement affectées par la crise.
Ainsi, après avoir sabordé 30% des dépenses de fonctionnement du budget de l’Etat de l’exercice en cours, le gouvernement s’est attaqué aux dépenses d’investissement.
Ainsi, il a été demandé à la Sonatrach, le géant des hydrocarbures du pays, de réduire ses charges d’exploitation et d’investissement de moitié, à 7 milliards de dollars. Le reste doit être affecté au gouvernement qui doit faire face à une crise aigüe. Or, l’entreprise est engagée dans une politique d’augmentation de ses capacités de production afin de faire face à l’épuisement de certains de ses puits. Elle doit ainsi remettre certains de ses investissements aux calendes grecques.
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En conséquence, le pays ne pourra pas espérer augmenter ses efforts d’exploration et d’augmentation de sa production pour espérer soutenir l’économie au moment de la reprise de l’économie mondiale. D’autres secteurs comme le bâtiment sont également affectés avec à la clé de nombreux projets à l’arrêt affectant de nombreuses entreprises privées, mais aussi des emplois.
Et bizarrement, le seul budget qui n’est pas touché est celui des achats d’armes qui ont dépassé les 10 milliards en 2019 et pour lesquels d’importantes commandes ont été passées cette année auprès du fournisseur russe.
En clair, ce remède risque d’être très handicapant lors de la reprise et sera insuffisant pour faire face à la crise financière aigue que traverse le pays.
Alors, où le gouvernement algérien trouvera t-il les ressources pour financer ce déficit abyssal?
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Pour beaucoup d’experts, après le refus de recourir à l’endettement extérieur, la "planche à billets" reste inévitable. Une solution soutenue par l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Badreddine Nouioua. D’autres par contre avancent l’échec de cette politique mise en place durant les dernières années de règne de Bouteflika. Ils encouragent le recours à l’endettement extérieur, sachant que le pays, très peu endetté, dispose de marges considérables, et avancent la nécessité de mettre en place des réformes structurelles pour sortir une fois pour toutes du tout pétrole.