L’entrée en vigueur de la zone de libre-échange entre l’Algérie et l’Union européenne, prévue ce mardi 1er septembre et qui impose à l’Algérie l’annulation de toutes les barrières douanières avec les pays de l’Union européenne, est remise en cause, après 15 ans de préparation.
Rappelons que l’accord d’association entre Bruxelles et Alger, entré en vigueur le 1er septembre 2005, visait à ouvrir les marchés des deux parties au sein d’une zone de libre-échange. Ledit accord prévoyait ainsi une période de transition de 12 ans, soit jusqu’en 2017, afin que l’Algérie élimine progressivement ses droits de douane sur des produits industriels importés de l’Union européenne et qu’elle applique une libéralisation sélective sur les produits agricoles.
En 2012, sentant son absence de progrès, Alger avait sollicité et obtenu une prolongation de cette période de transition pour 3 années supplémentaires, repoussant ainsi l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange au 1er septembre 2020 pour certains produits, dont l’acier, l’automobile, l’électronique et le textile.
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La partie algérienne -dirigeants politiques, chefs d’entreprises et économistes- conteste cet accord qu’elle juge trop défavorable et demande sa réévaluation.
Ainsi, les autorités algériennes ont multiplié, à la veille de l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange, les appels à la renégociation de cet accord. Début août, c’est le président Abdelmadjid Tebboune qui sonne l’alerte en demandant au ministre du Commerce, Kamel Rezig, de «procéder à une évaluation du dossier sur l’accord d’association avec l’Union européenne». Quelques jours plus tard, c’est le Premier ministre Abdelaziz Djerad qui, sans citer l’accord avec l’Union européenne, annonce «la révision» des accords économiques et commerciaux jugés «préjudiciables au pays».
Selon les experts algériens, cet accord a causé des pertes énormes au Trésor algérien en termes de manque à gagner fiscal. D’après l’économiste Abdelkader Berriche, les pertes en droits de douane occasionnées par le démantèlement tarifaire consécutif à l’accord d’association tournent autour de 30 milliards de dollars en 15 ans. En clair, le Trésor public algérien perd 2 milliards de dollars par an en recettes à cause de cet accord qui ouvre grandement le marché algérien aux produits européens.
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Globalement, du côté algérien on dénonce une balance commerciale largement en défaveur de l’Algérie. Ainsi, selon Ali Bey Nasri, président de l'Association nationale des exportateurs algériens, l’Algérie a importé 320 milliards de dollars de biens entre 2005 et 2019 alors que les exportations vers l’Union européenne n’ont été que de 15 milliards de dollars, hors pétrole et gaz, durant la même période.
Seulement, cette explication est biaisée. Avancer que l’Algérie enregistre un déficit dans ses échanges avec l’Union européenne en soustrayant la part des hydrocarbures (pétrole et gaz) exportés par l’Algérie vers cette région déforme la réalité sachant que plus de 95% des exportations algériennes sont constituées d’hydrocarbures (pétrole brut et gaz). Ainsi, en tenant compte de ces hydrocarbures, la balance commerciale algérienne vis-à-vis de l’Union européenne est excédentaire.
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A titre d’exemple, en prenant l’exercice 2018, les exportations totales algériennes à destination de l’Union européenne se sont établies à 23,65 milliards de dollars (57,46% des exportations totales algériennes), alors que les importations vers cette région ont représenté 21,10 milliards de dollars (45,76% des importations totales algériennes). En clair, la balance commerciale est plutôt favorable à l’Algérie de plus de 2,15 milliards de dollars en 2018. Et c’est le cas pour les autres années, surtout durant la forte hausse des cours du baril de pétrole.
Ainsi, avancer un déficit commercial pour justifier son désaccord avec la mise en place de la zone de libre-échange relève d'une fausse excuse. La réalité, c’est que les dirigeants algériens ont échoué durant les 15 ans de transition à bâtir une économie diversifiée et à sortir de la dépendance de la rente pétrolière.
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A l'inverse, c’est ce qu'a réussi à faire le Maroc qui a signé un accord d’association et bénéficié d’une période de transition pour finalement aboutir à un accord de zone de libre-échange. Certes, certains pans de l’économie marocaine ont souffert, notamment ceux qui ne pouvaient se mettre à niveau et qui n’étaient pas donc compétitifs, mais pour les autres secteurs, l’accord a permis de les mettre à niveau et surtout de faire émerger de nouveaux secteurs compétitifs dont l’automobile, l’aéronautique, etc.
Donc, le problème de l’Algérie est l’absence de diversification de son économie et non le déficit de sa balance commerciale. Hormis les hydrocarbures et dérivés, l’Algérie n’exporte presque rien. Et même les faibles produits qu’elle exporte sont peu compétitifs, malgré les coûts faibles du gaz que l’Etat subventionne fortement.
En clair, l’Algérie ne dispose d’aucune offre d’exportation sur le continent européen, hormis le pétrole et le gaz. A contrario, l’Algérie importe tout: biens d’équipements, biens de consommation, produits alimentaires, demi-produits finis, etc.
Alors que l’Algérie traverse actuellement une crise économique et financière aiguë à cause d'une chute du cours du baril de pétrole que le Covid-19 est venu aggraver, la mise en place programmée de la zone de libre-échange devient une échappatoire pour les autorités algériennes en mal de «nationalisme économique».
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Du coup, le président Tebboune et son gouvernement appellent à renégocier le texte. L’objectif est d’assurer encore de la protection à une économie mal-en-point. Certes l’économie algérienne, en pleine crise, a besoin de protection pour son industrie à construire, de transfert de technologie et d'investissements pour se développer.
Seulement, quels que soient le nouveau deadline et les nouvelles conditions qui seront négociées, il faudra que les dirigeants algériens changent complètement le modèle économique mis en place depuis des décennies. Celui-ci repose uniquement sur la rente pétrolière qui bénéficie à certains dirigeants politiques oligarques et généraux aux dépens du peuple. Si le gouvernement semble prendre conscience de cette réalité, l’environnement actuel marqué par la baisse des réserves de change et le niveau bas des cours du pétrole n’est pas des plus favorables.
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L’autre volet sur lequel s’appuient les dirigeants algériens pour critiquer l’accord repose sur l’absence d’investissements européens en Algérie. Seulement, à ce niveau aussi, ce sont les responsables algériens qui doivent rendre des comptes avec un environnement des affaires qui décourage les investisseurs étrangers. Le classement de l’Algérie dans les rapports de Doing business et la règle 51%/49 illustrent parfaitement les entraves qui freinent l'investissement en Algérie.
Pour que les deux partenaires continuent à avoir des relations solides, il faut que l’Algérie construise une économie diversifiée et développe son offre à l'exportation.
C’est vrai que le nouveau régime algérien a commencé à reconnaître les échecs des politiques mises en place au cours de ces dernières décennies. Toutefois, à la date d’aujourd’hui, on note l’absence d’une orientation économique claire pour sortir du «tout pétrole».