Algérie. Présidentielle: la très forte mobilisation contre Bouteflika change la donne

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Le 23/02/2019 à 18h04, mis à jour le 24/02/2019 à 15h27

A moins de deux mois de la présidentielle en Algérie, le caractère "massif", pacifique et spontané du mouvement de contestation vendredi contre le 5e mandat que brigue le président Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, "change la donne", notent les observateurs.

Parti des réseaux sociaux, hors de tout cadre politique ou syndical, autour d'un seul mot d'ordre "Non au 5e mandat", le contour et l'avenir du mouvement restent néanmoins flous et la réponse du pouvoir difficile à prévoir.

Depuis les émeutes historiques d'octobre 1988 en Algérie ayant débouché notamment sur le multipartisme, "il y a eu des mobilisations populaires, dont les degrés d'importance et d'organisation étaient variables", rappelle à l'AFP Louisa Dris-Aït Hamadouche, professeure de sciences politiques à l'Université Alger 3.

"Mais au niveau national et de cette ampleur, avec cette simultanéité, avec l'usage tout à fait nouveau des réseaux sociaux, je crois que c'est inédit", souligne l'universitaire algérienne.

Selon un diplomate ayant requis l'anonymat, le "caractère massif, national et populaire de la mobilisation" est "inédit et majeur".

Caractéristique des cortèges: ils étaient composés très majoritairement de jeunes --adolescents ou âgés d'une vingtaine d'années--, peu politisés en Algérie.

"D'après les études, les jeunes ne sont ni militants ni partisans, seuls 1% des jeunes Algériens sont membres d'un parti politique", rappelle Louisa Dris-Aït Hamadouche. "Cela ne présage pas de l'émergence d'un discours politique", estime-t-elle.

"éviter tout débordement" -

Autre caractéristique de ces manifestations, l'absence de débordements. Hors quelques heurts localisés à Alger --lacrymogènes contre jets de pierre-- entre policiers et manifestants se dirigeant vers la présidence, aucun incident notable n'a été signalé.

Seules 41 personnes ont été arrêtées au niveau national, selon la police.

"Les Algériens ont montré qu'ils peuvent manifester sans verser dans l'émeute", constate Louisa Dris-Aït Hamadouche, et du côté de la police, "il y a sans doute eu des instructions pour éviter toute escalade".

A Alger notamment, où toutes les manifestations sont strictement interdites et rapidement endiguées, la police, débordée par le nombre, a laissé faire. Elle est même restée coite lorsque des manifestants s'en sont pris à un portrait présidentiel sur une façade.

Pour Louisa Dris-Aït Hamadouche, "il semble y avoir eu une volonté en haut lieu d'éviter tout débordement, car cela nuirait à l'image d'un Etat stable que veut donner l'Algérie, et parce que le pouvoir a conscience que la violence engendre la violence".

"Personne n'en tirerait profit", souligne-t-elle.

Samedi, les rues du centre d'Alger connaissaient une activité normale et aucun déploiement policier particulier n'était visible.

"Incertitude"

Difficile de savoir si la mobilisation va se poursuivre et quelle sera la réponse des autorités. "On ne sait pas si c'est le début de quelque chose ou si ce sera sans suite, on ne sait pas si la mobilisation va prendre de l'ampleur", explique Louisa Dris-Aït Hamadouche.

"Les différents mouvements sociaux, dont les revendications sont économiques et sociales, prendront-ils le train de cette contestation dont le mot d'ordre est uniquement politique: le refus du 5e mandat?", s'interroge-t-elle.

En outre, en l'absence criante des partis d'opposition dans les défilés, qui prendra sur le terrain politique le relais des manifestations?

"Les partis politiques n'ont joué aucun rôle dans ce qu'il s'est passé. Or on ne peut pas construire de discours alternatif sans acteur politique, sans les partis. Leur absence est très problématique pour la suite", prédit l'universitaire.

"Autant il est clair qu'il y a une contestation de la candidature" du président Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, "autant il y a une incertitude sur l'alternative à cette candidature", poursuit-elle.

"Les manifestants ont dit clairement ce dont ils ne voulaient pas, mais ils n'ont pas dit ce qu'ils voulaient", remarque-t-elle.

A 10 jours de la date limite du dépôt des candidatures, les membres du camp du président Bouteflika, 81 ans et affaibli par les séquelles d'un AVC dont il a été victime en 2013, se retrouvent face à un "dilemme", selon le diplomate interrogé par l'AFP: désigner un autre candidat ou "passer en force".

"Ce qui est arrivé est sans doute ce qu'ils craignaient le plus", note-t-il: "le système était sur les rails qui menaient au renouvellement du mandat du président", mais la mobilisation de vendredi "change la donne politiquement".

Louisa Dris-Aït Hamadouche confirme: "autant le 5e mandat ne faisait pas de doute il y a quelques semaines, autant il apparaît désormais plus incertain".

"Les deux hypothèses sont désormais envisageables: soit le pouvoir impose le 5e mandat malgré la contestation, soit il trouve un compromis pour permettre au chef de l'Etat de renoncer pour des raisons de santé".

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 23/02/2019 à 18h04, mis à jour le 24/02/2019 à 15h27