Au cours des deux derniers mois qu’ont duré les contestations, les positions du général Ahmed Gaïd Salah ont régulièrement changé. Aucune ligne de conduite rigoureuse. L’homme a changé de vestes tellement de fois qu’il est difficile de trouver une constance dans sa conduite, à l’exception du maintien coûte que coûte du système en place.
Des manifestants «ingrats»
Il ne faudrait pas d’ailleurs remontrer très loin dans le temps pour s’en rendre compte. En moins d’un trimestre, le plus haut gradé de l’armée algérienne a fait preuve d’une inquiétante succession de volte-face. La preuve : mercredi 13 février à Constantine, Gaïd Salah avait défendu mordicus la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un 5ème mandat présidentiel. A ce sujet, il a fustigé les opposants à ce funeste projet, qui n’étaient alors que «des ingrats», des «ennemis de l’intérieur» et surtout qui se «nourrissent de rêveries et d’illusions».
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Après le 22 février, premier vendredi de revendication, le vice-ministre de la Défense, n’ayant pas mesuré la détermination des Algériens à «faire dégager le système», a conservé ses éléments de langage.
Ainsi, le 27 février, alors qu’il est en visite d’inspection à l’autre bout du pays, vers la frontière nigérienne à Tamanrasset, il fustige les manifestants. «Il est inadmissible d’entrainer les Algériens vers l’inconnu à travers des appels suspects sous couvert de démocratie».
Désavoué vendredi après vendredi
Le général de corps d’armée avait alors mis en garde contre ces «appels douteux» qui poussaient les Algériens «égarés» vers des sentiers «douteux et non sûrs».
Il s’était également permis de dire que ceux qui appellent à la violence «sont des personnes qui ignorent ou feignent d’ignorer la volonté du peuple algérien à vivre dans la paix et la sécurité» et qui peuvent mener les Algériens «sur des chemins non sécurisés».
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Il a gardé le même discours et même hostilité aux manifestants le vendredi suivant, le 1er mars. Ainsi, quatre jours seulement, après une nouvelle démonstration de force des manifestants dans l’ensemble des villes du pays, alors qu’il est en visite à Cherchell, il pointe du doigt des «forces malintentionnées jalouses de la stabilité et de la paix qui règnent» qui seraient derrière les appels à manifester contre Bouteflika.
La réponse de la rue algérienne aux vociférations du chef d’état-major a été sans appel. De vendredi en vendredi, le nombre des manifestants va croissant. De dizaines de milliers, ils sont passés à des centaines et puis des millions de manifestants. Et rien ne semblait être en mesure de contrer la dynamique des revendications des Algériens. C’est là que Gaïd Salah a commencé à lâcher l’homme à qui il doit tout, y compris le fait de ne pas être mis à la retraite.
«Vision commune du peuple et de l’armée»
Dans un premier temps, la technique de Gaïd Salah a consisté simplement à amadouer les manifestants. Ainsi, deux jours après le troisième vendredi, c’est-à-dire le 10 mars, il a estimé que «le peuple et l’armée ont une vision commune de l’avenir». «L’Algérie est chanceuse de son peuple et l’armée est chanceuse de son peuple. Le peuple a conscience des défis d’un monde sans pitié», disait-il. Les millions d’Algériens qui sont sortis le vendredi suivant, plus nombreux que jamais, lui ont fait comprendre leur refus catégorique.
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C’est là que Gaïd Salah a commencé à lâcher Bouteflika, oubliant du même coup que quelques jours seulement auparavant il fustigeait les opposants à un 5ème mandat. Ainsi, dès le 18 mars, il estime qu’il faut «apporter des solutions le moment propice».
L’impeachment sorti du chapeau du général
«Les solutions» préparaient le terrain à la prochaine sortie du généralissime où il a demandé l’application de l’article 102 devant consacrer l’empêchement d’un Bouteflika, malade. Ce moment grave a eu lieu le 26 mars.
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Malheureusement, l’application de cette solution devait passer par la collaboration de Tayeb Belaiz, président du Conseil constitutionnel. Or ce dernier, qui avait été nommé, à peine un mois auparavant, le 10 février, par le clan Bouteflika, qui savait qu’il allait avoir besoin d’un homme de confiance, a fait la sourde oreille à l’injonction du général. Car, après avoir constaté l’empêchement du président Bouteflika, c’est le conseil constitutionnel qui devait saisir le Parlement pour que ce dernier constate la vacance et lui trouve un remplaçant en la personne du président du Sénat. Ce que n’a pas fait Tayeb Belaiz.
Gaïd Salah ne reconnaît plus la présidence
La suite on la connaît : après ce 26 mars, Gaïd Salah a tapé du poing sur la table, le 2 avril, forçant Bouteflika à présenter sa démission. Après avoir réuni tous les généraux des différentes armes et des diverses régions militaires, il commet un long communiqué digne du parti communiste chinois. Dans ce dernier, le chef d’état-major affirme ne plus reconnaître l’authenticité des messages et communiqués émanant de la présidence, laquelle est entre les mains d’une «bande».
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Que l’on se représente un peu la vitesse avec laquelle Gaïd Salah change de position. Le 13 février 2019, il traite d’«ennemis de l’intérieur» les personnes qui s’opposent à un 5ème mandat de Bouteflika. Le 27 février, il traite d’«égarés» les Algériens qui sont sortis dans la rue le vendredi 22 février. Le 1er mars, il soupçonne les manifestants d’être manipulés par «forces malintentionnées jalouses de la stabilité et de la paix qui règnent». Et le 26 mars, coup de théâtre : il dit faire corps avec les revendications du peuple et exige la destitution d’Abdelaziz Bouteflika.
Peuple «irréaliste» et «main étrangère»
Et ce n’est pas fini. Car après s’être retourné contre Bouteflika et fait les yeux doux au peuple, Gaïd Salah va encore opérer une pirouette le 10 avril pour déclarer «irréalistes» et «impossibles» les revendications de ce même peuple. Il a sorti à cette occasion une vieille rengaine de son chapeau : la main étrangère, l’ennemi extérieur qui manipulerait les Algériens.
Les multiples changements de position du général Ahmed Gaïd Salah auraient prêté à rire n’eût été le fait que ce militaire est aujourd’hui l’homme le plus puissant en Algérie et qu’il faudrait s’attendre à d’autres volte-face, pires que les précédents, rien que pour la survie du système.