Algérie: comment Ahmed Gaïd Salah est devenu l'unique maître du pays

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Le 22/05/2019 à 13h38, mis à jour le 22/05/2019 à 13h40

Alors que l'armée a toujours partagé le pouvoir avec les civils tout en jouant un rôle central, voilà qu'Ahmed Gaïd Salah a écarté tous ses rivaux pour s'imposer comme l'unique homme fort du pays.

Beaucoup accusaient Ahmed Gaïd Salah de lorgner le fauteuil sur lequel était assis son ex-mentor, Abdelaziz Bouteflika.

Les derniers développements en Algérie leur donnent raison et pour assouvir ses ambitions, le général de corps d'armée et vice-ministre de la Défense n'hésite pas à écraser tous ceux qui pourraient se dresser sur son passage.

Il cherche ainsi par tous les moyens, y compris en usant des moyens répressifs de l'Etat, de museler la presse et la société civile, de faire taire les opposants au régime et d'écarter d'éventuels rivaux. Même au sein de l'armée, il étouffe toutes les voix discordantes, au point qu'il ne reste plus que ceux qui lui ont prêté allégeance. 

Au prétexte de répondre à la demande inisistante des manifestants, Ahmed Gaïd Salah a commencé par faire arrêter des puissants du régime algérien.

Mais quand on y regarde de plus près, il s'agit surtout de ceux qui auraient pu le gêner, ceux qui connaissent les rouages du système au point de pouvoir le déstabiliser, lui que les observateurs reconnaissent comme étant le président de fait.

Les deux derniers chefs des services de renseignement, les généraux Mohamed Mediene dit "Toufik" et Athmane Tartag, dit "Bachir" en ont d'ailleurs fait les frais. Le premier a dirigé, pendant 25 ans, le département du renseignement et de la sécurité (DRS) et est resté très influent, comme l'ont montré les contacts qu'il a eus en pleine crise avec Saïd Bouteflika ou encore l'ancien président Mohamed Zeroual. 

Le second était à la tête du Département de surveillance et de sécurité (DSS) à partir de 2015, quand l'ancien DRS a été dissout et que tous les services de renseignements intérieurs comme extérieurs furent directement rattachés à la présidence. Ahmed Gaïd Salah a des raisons de se méfier de lui, puisque l'homme a la réputation d'être est un soutien inconditionné de Saïd Bouteflika. 

Outre le fait que ces deux généraux sont les deux hommes les mieux renseignés de l'Algérie, leur appartenance au corps de de l'armée aurait pu suffir à Gaïd Salah pour les surveiller comme du lait sur le feu.

Il est en effet de notoriété publique qu'il y a des dissensions au sein de l'armée algérienne.

C'est ce qui explique que le 2 avril dernier, avant d'exiger la démission de Abdelaziz Bouteflika, la réunion tenue par l'Armée Populaire Nationale avait regroupé l'ensemble des hauts cadres, tous corps confondues.

Vu l'impopularité, en ce moment précis, de Abdelkader Bensalah, le président algérien, il n'a pas été si difficile d'obtenir un consensus, d'autant que les purges successives, menées depuis juin 2018, ont permis à Gaïd Salah de placer ses hommes à tous les niveaux de décision de l'armée. Seules subsistent encore quelques poches de résistance. 

Le général Khaled Nezzar a préféré montrer patte blanche face aux menaces de Gaïd Salah. Aujourd'hui, il est devenu le principal témoin à charge contre Saïd Bouteflika et ses deux co-accusés que sont les généraux Toufik et Bachir.

Auparavant, après la fermeture du site d'information géré par son fils, Khaled Nezzar avait commis une diatribe où il accusait déjà le frère du président démissionnaire d'avoir voulu limoger Ahmed Gaïd Salah et d'avoir menacé de déclarer l'Etat d'exception en Algérie.

Deux généraux sont actuellement en fuite à l'étranger après avoir simulé des maladies qui exigeaient leur transfert dans des hôpitaux français.

Il s'agit du général Habib Chentouf, ex-commandant de la première région militaire. Cet homme était présenté comme l'un des possibles remplaçants de Gaïd Salah, qui a donc eu toutes les raisons de se méfier de lui. 

Habib Chentouf est ainsi accusé de «dissipation et recel d’armes et de munitions de guerre et infraction aux consignes de l’armée». Cette accusation précise vaut d'ailleurs à son homologue, le général-major Saïd Bey, de séjourner actuellement en prison . 

Le général Chérif Abderrazak, qui était à la tête de la 4e région avant la purge, a, lui, préféré filer à l'anglaise lors d'un séjour médical en France. 

Déjà, en octobre 2018, cinq mois avant les premières manifestations, Ahmed Gaïd Salah avait fait emprisonner cinq généraux, dont les trois noms qui viennent d'être cités font partie, à savoir Abderrazzek, Chentouf et Bey.

A ceux-là s'ajoutaient celui de Menad Nouba et Boujemaa Boudouaour, respectivement commandant de la gendarmerie et directeur des finances au ministère de la Défense. Leur libération par Abdelaziz Boutefika n'avait pas fait plaisir à Gaïd Salah, qui y voyait déjà la main d'un Saïd Bouteflika. 

Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, toute l'armée algérienne est à ses pieds, puisqu'il a éliminé toutes les poches de résistance dans les rangs de celle-ci. Le chef d'état-major général des armées ne risque donc aucun coup de force venant de ses troupes.

Les seules menaces contre son pouvoir absolu ne peuvent plus venir de l'armée, mais éventuellement des politiques, de la société civile ou de la presse, par ce qui concerne les entités bien constituées, en plus de la rue, dont la mobilisation ne faiblit d'ailleurs pas. C'est pourquoi Ahmed Gaïd Salah leur donne pas de répit. 

Depuis que la pasionaria trotskiste, Louisa Hanoune, leader du Parti du Travail (PT -opposition) a été mise en prison, beaucoup joue la carte de la prudence pour éviter de se retrouver dans la la même situation. C'est elle qui, dans les rangs de l'opposition, a été la plus critique contre les agissements du général Gaïd Salah, qui a tout l'air d'un autocrate. 

Posted by ‎Parti des Travailleurs حزب العمال Akabar Ixeddamen‎ on Saturday, May 4, 2019

Dès les premières heures de la révolution, le 27 mars, c'est-à-dire quand la révolution entame son deuxième mois, tout le groupe parlementaire du Parti du Travail (PT) a démissionné. Par cette décsion politique, Louisa Hanoune a ainsi donné un signal fort, qui lui permettra de mieux se positionner en cas de changement du système.

Le samedi 4 mai dernier, elle est revenue à la charge, cette fois contre Ahmed Gaïd Salah, qu'elle accuse de violer la Constitution algérienne et d'instrumentaliser la justice.

Mais la dernière prise de position qui lui a valu son arrestation, c'est sans doute le fait d'avoir affirmé que l'appel incessant au dialogue par le général rappelle "ce qui s'est passé en Egypte avec le général Abdelfattah Al-Sissi, en 2013".

Quoi qu'il en soit, moins d'une semaine après avoir tenu ces propos, jeudi 9 mai, Louisa Hanoune est venue allonger la liste des personnes embastillées par la justice du instruction de Gaïd Salah.

D'ailleurs, pour ne pas s'embarrasser des réticences des magistrats civils, Ahmed Gaïd Salah a fait sortir de son chapeau un chef d'accusation qui conforte l'autorité de la justice militaire sur les poursuite.

Ainsi, Louisa a été incarcérée pour "atteinte à l'autorité de l'Etat et complot contre l'autorité de l'armée". Officiellement, on lui reproche d'avoir rencontré Saïd Bouteflika, qui était alors conseiller de son frère Abdelaziz Bouteflika. 

Beaucoup estiment que l'objectif de cette violence d'Etat est d'écarter une personne trop critique à l'encontre la démarche de l'armée, qui fait tout pour maintenir le système en place.

En filigrane, tous les hommes et femmes politiques, mais aussi tous les médias, doivent surveiller ce qu'ils disent pour éviter de se retrouver dans la même situation. 

D'ailleurs, dans les médias, plusieurs journalistes de l'Entreprise nationale de télévision (ENTV), la société qui gère le groupe audiovisuel public, ont été sanctionnés, selon plusieurs sources.

Un tweet de Nadia Madassi, journaliste à la chaîne nationale, listait 5 de ses collègues qui ont été soit écartés de leur émission, soit financièrement sanctionnés ou mis à pied pour avoir pris position en faveur de la révolution en cours. 

Il y a une dizaine de jours, le quotidien El Watan avait barré sa Une avec un titre révélateur. "Médias publics bâillonnés, répression des opposants… : Menaces sur la liberté d’expression", dénonçait le quotiden. 

Ainsi, à défaut de s'en prendre, par le biais de la matraque, aux manifestations pacifiques, Ahmed Gaïd Salah a décidé de réprimer tout ceux qui donnent un écho à la contestation.

De sorte que "la télévision officielle a vite retrouvé ses anciens réflexes en réservant à peine quelques images vite balayées au hirak". "Bien sûr, aucun mot sur les pancartes, les chants et les slogans anti-Gaïd lesquels, pourtant, crèvent les yeux", dénonce le même journal. 

Ahmed Gaïd Salah avait commencé sa purge par les oligarques. Afin d'afficher le visage d'un défenseur des intérêts financiers des Algériens, le vice-ministre de la Défense a fait emprisonner le symboles des relations entre politique et business, en l'occurrence Ali Haddad qui a présidé le Forum des chefs d'cntreprise (FCE) durant de longues années, avant de démission quand il a senti le vent tourner, à l'entame du deuxième mois de manifestation le 29 mars. C'est en essayant de quitter le territoire algérien par la frontière tusienne que Ali Haddad a été interpellé, avant d'être inculpé un peu plus tard. 

Le milliardaire Mourad Eulmi, qui fut présenté comme celui qui devait faire de l'Algérie un pays de production automobile, est actuellement recherché, et un mandat d'arrêt international a été émis à son encontre. 

Plus emblématique encore, Issad Rebrab, qui n'a jamais été en odeur de sainteté auprès du pouvoir est, lui aussi, en train de payer de sa personne la stratégie perfide du chef de l'armée algérienne pour détourner l'attention. 

D'autres personnes sont touchées, notamment trois des quatre frères Kouninef, à savoir Karim, Noah-Tarek et Reda, qui sont en prison depuis le 24 avril dernier. 

Evidemment, la tâche est rendue facile par le fait que la gabegie et la fuite des capitaux a bel et bien eu lieu. Le journal suisse la Tribune de Genève a mis en exergue l'existence de dizaines voire de centaines de sociétés écrans qui étaient créées pour siphonner les ressources algériennes, grâce à un simple jeu de facturation. 

Une fois les personnes gênantes réduites au silence ou neutralisées, il ne reste donc plus que la révolution elle-même. Celle-ci n'est pas à l'abri d'une action musclée d'Ahmed Gaïd Salah. Puisque les manifestants continuent de scander qu'il n'y aura pas d'élection le 4 juillet et que Ahmed Gaïd persiste et signe pour qu'il y en aura. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 22/05/2019 à 13h38, mis à jour le 22/05/2019 à 13h40