Sahel. Mort de Droukel: ces nombreuses questions qui incriminent Alger dans le soutien aux terroristes

Abdelmalek Droukdel.

Abdelmalek Droukdel. . DR

Le 15/06/2020 à 16h35, mis à jour le 15/06/2020 à 17h10

Les généraux algériens sont très remontés contre le quotidien français "Le Monde", qui vient de publier une analyse pertinente sur l'implication directe d'Alger dans l'instabilité du Sahel, en protégeant les djihadistes de tout bord. La mort de Abdelmalek Droukdel en apporte une énième preuve.

S'il y a une chose qui embarrasse Alger, c'est bien que l'on s'intéresse de près à ses relations avec les jihadistes du Sahel, auxquels elle offre le gîte et le couvert et contre lesquels, il ne faudrait surtout pas voir agir ceux qui luttent contre le terrorisme à ses frontières, mais à son insu.

Au sujet de la mort, le 3 juin, du chef terroriste algérien Abdelmalek Droukdel, dans sa livraison d'hier, le quotidien français Le Monde a soulevé une série de questions, sous la plume de Jean-Pierre Filiu, professeur des universités en histoire du Moyen-Orient à Sciences Po. Ces interrogations sans réponses laissent croire, sinon à l'incompétence des services secrets algériens, du moins à leur insidieuse complicité avec les bandits de grand chemin responsables de l'instabilité dans le Sahel, dont certains sont de nationalité algérienne.

Car, la mort d'Abdelmalek Droukdel, le chef d'Al-Qaïda pour le Maghreb Islamique (AQMI), est entourée de plusieurs "zones d'ombres" dont l’existence met à nu le jeu trouble des généraux algériens. Sinon, comment expliquer que "le jihadiste le plus recherché d’Afrique du Nord" a traversé "deux mille kilomètres de territoire algérien avant d’être tué par la France au Mali?"

D'ailleurs, c'est par un silence long et gêné que les autorités algériennes ont réagi à l'annonce de la "neutralisation" par la France, avec l'aide des Etats-Unis, de "cet homme traqué depuis 27 ans" et "condamné à mort cinq fois par contumace", souligne Le Monde. Leur réaction ne viendra que le 9 juin, avec une laconique déclaration de la présidence algérienne plaçant son élimination dans "un contexte international" de "lutte contre le terrorisme".

Néanmoins, l'irritation d'Alger s'est manifestée de manière détournée quand quelques jours après la disparition de Droukdel, elle s'empresse de prendre pour prétexte un banal reportage sur le Hirak diffusée par les chaînes de France Télévisions pour "susciter une crise complètement artificielle avec Paris, en ordonnant le rappel de son ambassadeur".

Evidemment, si les autorités algériennes ont été à ce point embarrassées, c'est parce que, selon Le Monde toujours, elles ne trouvent aucune réponse à donner à "une série de questions pour le moins troublantes".

"Comment Droukdel, à la tête d’un maquis jihadiste dans les montagnes de Kabylie depuis deux décennies, a-t-il bien pu traverser l’Algérie du nord au sud? Comment l’ennemi public numéro un des forces algériennes de sécurité est-il parvenu à franchir les quelque deux mille kilomètres d’un tel trajet? Comment a-t-il pu esquiver les barrages et les contrôles d’un territoire aussi quadrillé? De quelles complicités en termes de logistique et de transport a-t-il pu disposer pour accomplir une aussi longue traversée? Comment, enfin, a-t-il pu franchir la frontière avec le Mali que l’armée algérienne est censée surveiller avec le plus grand soin pour justement éviter les infiltrations jihadistes sur son propre territoire?", se demande l'auteur de l'analyse.

Au-delà de toutes ces questions préoccupantes esquivées par "l'Algérie officielle" comme la désigne le quotidien, "l’arrivée du chef d’AQMI au Mali s’inscrit dans une très longue histoire de transfert de jihadistes algériens vers ce pays, où ils ont largement contribué à développer les réseaux terroristes, avant de les étendre dans toute la région".

Evidemment, ce processus ne date pas d'aujourd'hui. Il s'est accéléré à partir de 2007, quand deux commandants de Droukdel participent activement à la fondation d'AQMI, à savoir le très meurtrier Mokhtar Belmolkhtar et Abdelhamid Abou Zeid.

Evidemment, ce que ne dit pas Le Monde c'est que la France, dans cette histoire, n'est pas exempte de reproche. Car en faisant chuter Moammar Kadhafi, elle contribue ainsi à l'enrôlement par les criminels algériens de djihadistes de tous bords qui viendront au Mali semer la mort et la désolation à partir de 2011.

Quoi qu'il en soit, si Alger a préféré se montrer discrète, c'est pour éviter que des comptes lui soient demandés sur tout ce qui se passe au Sahel, et dont elle est comptable à cause de son double-jeu avec les terroristes. La mort de Droukdel repose par exemple la question du soutien apporté à Iyad Ag Ghali, qui a réussi à coaliser les principaux groupes terroristes autour du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), une autre filiale d'Al-Qaïda.

A plusieurs reprises, des sources ont révélé la présence de Ag Ghali en territoire algérien même. La dernière fois ne date que de 2018, quand il a été repéré dans un hôpital de Tamanrasset où il avait d'ailleurs échappé à une tentative de neutralisation par les services de pays occidentaux.

Si Alger choisit cette attitude complice vis-à-vis des jihadistes qu'elle héberge, c'est parce qu'elle y trouve son compte. Les services secrets de nombreux pays soupçonnent Alger d'avoir établi de manière tacite un pacte de non-agression avec ces jihadistes. C'est ce qui explique que Iyad Ag Ghali se rende parfois chez sa famille à Tin Zaouatine, en Algérie, sans jamais être inquiété. En contrepartie de quoi, l'Algérie est protégée d'attaques comme celle de In Amenas, qui avait eu lieu en janvier 2013, dans l'un des plus importants sites gaziers du pays.

"Plus généralement, les autorités algériennes, qui avaient échoué en 2012 à parrainer un accord entre Ag Ghali et Bamako, miseraient sur une médiation cette fois réussie au nord du Mali, quitte à y légitimer les groupes jihadistes", analyse le quotidien français.

De toute évidence, le cas Droukdel n'a pas fini de soulever des questions. On devra sûrement attendre longtemps avant de savoir pourquoi, il a quitté "son sanctuaire de Kabylie pour s’exposer au Mali".

"Le chef d’AQMI venait-il réaffirmer son autorité, jusque là plus symbolique qu’effective, face au leader opérationnel qu’est devenu Ag Ghali? Prétendait-il coordonner les hostilités désormais ouvertes entre la mouvance liée à Al-Qaida et l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), la branche locale de Daech?", se demande enfin Le Monde.

L'Algérien mort, le Touareg malien, Ag Ghali, protégé par Alger, est l'unique maître de cette vaste région. L'Algérie en tire néanmoins un intérêt direct, puisque les réseaux "réseaux AQMI déjà très affaiblis" dans ce pays se retrouvent décapités, "aussi bien en Kabylie que dans les zones d’Aïn Defla et de Sidi Bel Abbés". De plus, son décès "pourrait ainsi avoir pour conséquence inattendue la décomposition des derniers maquis terroristes en Algérie", prophétise Le monde.

Mais cette analyse du quotidien français semble avoir irrité les généraux algériens au plus haut point. Ils viennent de communiquer toute leur colère contre Le Monde sur un site d'information connu pour sa proximité avec certains clans de la grande muette algérienne. Malheureusement pour eux, le laxisme de l'Algérie face aux djihadistes, qui tuent des centaines de Maliens, de Nigériens ou de Burkinabè est tellement ostensible que les porte-plume du régime vert-kaki se trouvent à court d'arguments.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 15/06/2020 à 16h35, mis à jour le 15/06/2020 à 17h10