La course pour la succession de Roberto Azevêdi à la tête de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est officiellement lancée depuis le lundi 8 juin.
Les sièges de la Banque mondiale et du FMI étant réservés respectivement aux Etats-Unis et à l’Europe, l’Afrique se positionne en force sur le poste de directeur de l’OMC. Ainsi, ce sont trois candidats africains qui sont dans les starting-blocks et déterminés à conquérir la direction de cette organisation, créée en Afrique, à Marrakech (Maroc) plus précisément, sur les cendres du GATT (General agreement on tariffs and trade), le 1er janvier 1995.
Une élection est devenue nécessaire après la démission du Brésilien Roberto Azevede, et trois candidats africains sont sur les rangs: Ngozi Okonjo-Iweala (Nigeria), Abdel-Hamid Mamdouh (Egypte) et Amina Mohamed (Kenya).
Ngozi Okonjo-Iweala, une Nigériane au CV convaincant
Elle n’était pas annoncée avant que le président nigérian Muhammadu Bihari ne décide de la porter candidate à la place d’un autre Nigérian.
Ngosi dispose d’atouts solides. En effet, l’ex-vice-présidente de la Banque mondiale, ex-ministre des Finances et ex-ministre des Affaires étrangères du Nigeria, est connue pour son combat contre la corruption. Actuellement, Ngozi préside le conseil d’administration de l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation (GAVI).
Cette économiste du développement de 65 ans, diplômée des deux prestigieuses universités américaines, Harvard et Massachusetts Institute of Technology (MIT), a plus de 30 ans d’expertise dans le développement et la finance à son actif avec 25 ans passés au sein de la Banque mondiale et une ascension qui l’y a menée au poste de directrice générale de 2007 à 2011. Membre du conseil d’administration de Twitter, la Nigériane figure parmi les 4 personnalités de la task force mise en place par l’Union africaine pour obtenir un soutien des institutions et des pays développés pour faire face à la pandémie de Covid-19.
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Ngozi est certainement le favori africain. Elle bénéficie du soutien du Nigeria et l’Afrique du Sud, les deux premières puissances économiques du continent, et bénéficiera certainement de l’appui des pays de la CEDEAO.
La candidate vient d’obtenir le ralliement du Béninois Eloi Laourou, ex-candidat du Bénin à la direction de l’OMC. Celui-ci, fort de plus de 30 ans de carrière et président du Conseil du programme de Cadre intégré renforcé (CIR) de l’OMC, connaît bien l’institution dont il est co-président du groupe de travail «Commerce et Développement» du groupe des ambassadeurs francophones (GAF) à Genève depuis 2013.
Abdel-Hamid Mamdouh, un Égyptien «technicien» du commerce international
Derrière la Nigériane Ngozi, il faudra compter sur la candidature de l’Egyptien L’Hamid Mamdouh. Diplomate rompu aux négociations commerciales, il a longtemps servi au sein de l’OMC.
Le Suisso-Egyptien a déposé sa candidature le mardi 9 juin courant, devenant le premier Africain à se porter candidat.
Après une longue carrière diplomatique, il intègre le ministère de l’Economie et du commerce extérieur chargé des relations commerciales bilatérales. En 1985, il est nommé négociateur au sein de la mission permanente de l’Egypte au sein du GATT, l’ancêtre de l’OMC.
En 1990, il est recruté par le GATT pour effectuer du conseil juridique, puis assister le directeur général adjoint. Il y contribue à la négociation et à la rédaction de l’Accord général sur le commerce des services entré en vigueur en 1995, année de naissance de l’OMC. Il y occupera les postes de secrétaire du Conseil du commerce des services et ensuite chef de la division Services investissement.
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A 67 ans, ce diplômé en droit de l’université du Caire en 1974 quitte l’OMC après vingt ans de services pour rejoindre en 2017 le cabinet américain King & Spalding LLP à Genève.
Soutenu par l’Egypte, il pourra aussi bénéficier du soutien des pays du Golfe proches du Caire. L’Egypte compte peser de tout son poids pour obtenir sa nomination à la tête de l’OMC.
Toutefois, certains évoquent sa double nationalité (Suisse) comme un frein à un soutien unanime du continent africain.
Amina Mohamed, une Kenyane diplomate de carrière
L’actuelle ministre des Sports du Kenya n’a pas encore confirmé sa candidature, mais ne l’a pas non plus démentie.
L’ex-directrice exécutive adjointe du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUD), âgée de 59 ans, a une longue carrière de diplomate et occupe depuis 2013 plusieurs postes ministériels: Affaires étrangères (de 2013 à 2018), Education et Sport. Diplômée en droit de l’université de Kiev, elle a rejoint le gouvernement kenyan et en 1985 en tant que juriste, avant de passer une décennie à des postes diplomatiques à Genève et au Conseil de sécurité des Nations unies.
Cette ancienne ministre des Affaires étrangères du Kenya connaît également l’OMC pour avoir été ambassadrice de son pays auprès de l’institution. Elle a été la première femme à présider les organes les plus importants de l’OMC: le Groupe africain à la commission des droits de l’Homme, le Conseil général de l’OMC en 2005.
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C’est dire qu’elle a tissé des liens avec l’institution et dispose d’un carnet d’adresses à la hauteur de ses ambitions. D’ailleurs, elle est présentée comme l’une des favorites par le Financial Times.
Enfin, Amina Mohamed faisait partie des candidats au poste de directeur de l’OMC qui avaient perdu face à l’actuel directeur général démissionnaire Roberto Azevêdo en 2013
Un poste convoité
A noter que le poste de directeur général de l’OMC n’a jamais été occupé par un Africain. Et les suspicions américaines vis-à-vis de l’actuel directeur général de l’OMS, l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, que les Etats-Unis estiment trop tolérant avec Pékin, ne vont pas favoriser les candidats africains auprès d’un Trump déjà peu enclin au multilatéralisme.
Reste qu’avec autant de candidats, le vote des Africains risque de s’éparpiller, diminuant ainsi les chances du continent, qui représente 35% des pays en développement membres de l’organisation.
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Afin d’éviter l’éclatement des voix africaines, l’Union africaine devra déterminer celle ou celui qui est mieux placé pour l’emporter.
Le délai pour le dépôt de candidatures échoit le 8 juillet. Et peu après la clôture de la période de présentation des candidatures, les candidats retenus devront rencontrer les membres lors d’une réunion extraordinaire du Conseil général afin de leur présenter leurs vues et de répondre à leurs questions.
Une chose est sûre, diriger cette organisation ne sera pas une tâche facile. Le prochain directeur doit reformer l’organisation, lui redonner son rôle central dans les négociations commerciales internationales et surtout faire face à la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine ainsi qu’aux critiques constantes de Donald Trump.
En effet, le président américain bloque la nomination des juges de l’organisation en pleine guerre commerciale avec la Chine, et multiplie depuis 2017 les menaces de quitter l’organisation, qu’il accuse d’avantager la Chine.
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De plus, il faudra compter avec au moins deux autres candidats de poids. D’abord, celui de l’Union européenne. Les Européens sont favorables à une candidature unique et le commissaire européen au Commerce, Phil Hogan, a manifesté son intérêt pour le poste. Il a depuis six mois ce portefeuille de l’UE et a participé à des négociations internationales lorsqu’il était commissaire à l’Agriculture.
Ensuite, il y a le Mexicain, Jesus Seade Kuri, ancien directeur du GATT, de la période 1989-1994, premier candidat à avoir déposé son dossier.
L’actuel directeur général de l’OMC, démissionnaire, doit quitter son poste en août prochain et le nouvel élu entrera en fonction le 1er septembre 2020.
L’OMC s’occupe des règles régissant le commerce entre les pays et son objectif fondamental est de favoriser la bonne marche, la prévisibilité et la liberté des échanges.