Robert Mugabe ne fêtera pas son 100e anniversaire à la présidence du Zimbabwe comme il avait l’habitude de le répéter. C’est finalement à 94 ans qu’il a quitté ses fonctions au terme d’une crise de plusieurs jours causée par les ambitions de sa femme Grace.
Arrivé au pouvoir en héros de la lutte d’indépendance, Mugabe part sur la pointe des pieds, poussé à la porte par tous ses soutiens: l’armée, la Zanu-PF, la SADC, l’Union africaine et la rue zimbabwéenne.
C’est donc après 37 ans passés au pouvoir qu’il quitte la State House de Harare. Il laisse un pays exsangue, en pleine crise économique et financière.
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En 1980, quand il est nommé Premier ministre du Zimbabwe, Robert Mugabe est sans conteste le dirigeant africain le mieux éduqué de l’époque. Dans le domaine agricole, son pays est excédentaire. Et les Zimbabwéens sont les mieux alphabétisés du continent. Ils vivent dans un pays érigé en modèle de démocratie, au moment où les dictatures essaiment un peu partout. L’éloquent tribun, qui s’exprimait à la manière des lords britanniques dans un anglais oxfordien, avait mené avec brio la guerre d’indépendance. Dans la résistance, il avait aussi fait de la prison, 10 ans passés dans les geôles, qui ont contribué à façonner son image de héros et sa légitimité à diriger son pays après l’indépendance.
Durant les dix premières années post-indépendance, le Zimbabwe connaît une stabilité bien enviable. Mugabe mène une politique de réconciliation et gouverne en améliorant sensiblement les conditions de vie de la majorité autochtone noire, en tenant compte des intérêts de la minorité blanche. Des écoles sont construites, la population a un meilleur accès aux soins de santé et au logement. Dans son gouvernement, on retrouve des ministres blancs. Jusqu’en 1990, le ministère de l’Agriculture est confié à Dennis Norman, alors que celui de l’Industrie et du commerce est entre les mains de David Smith, tous deux issus de la minorité blanche.
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Le choix de maintenir des Zimbabwéens de souche occidentale dans le gouvernement tenait à la fois de la stratégie et de la politique. A l’indépendance, les blancs étaient encore 250.000 sur une population de 5 millions d’habitants, soit 5%. Mais il ne fallait surtout pas se passer de l’expérience des 4500 fermiers de souche européenne qui assuraient au pays son autosuffisance. Si cela devait passer par des concessions, Mugabe était prêt à les faire. Sauf que Mugabe, en fin politique, ne pouvait ignorer la demande des 250.000 agriculteurs noirs "sans-terre" qui haussaient la voix. Jusqu’en 1990, selon les accords de Lancaster House, les fermiers blancs ont pu bénéficier d’une période de grâce de 10 ans, durant laquelle Mugabe ne pouvait pas les exproprier. Et même après cette période de protection constitutionnelle, Mugabe s’est bien gardé de céder à la pression des agriculteurs.
C’est en 2000, dix ans après la fin de la période de grâce, qu’il a décidé de lancer sa fameuse réforme agraire. De ses mille promesses, la redistribution des terres n’en tiendra aucune. Au contraire, les Zimbabwéens vont vite regretter l’ancienne situation des sols. Car cette nouvelle justice agraire est d’abord synonyme d’actes de violences contre la minorité blanche, de redistribution injuste des terres, avant de se transformer en cauchemar dont ils ne se réveilleront pas. Ainsi, une bonne partie des fermes est remise à des vétérans qui n’ont ni l’expertise ni les moyens et encore moins l’envie de les exploiter réellement. Beaucoup d'entre eux voulaient juste faire de la spéculation foncière. C’est à cette période que le pays plonge dans la crise économique et financière. Le pays connaît une hyperinflation et une sévère pénurie de devises. La solution a été d’abandonner le dollar zimbabwéenne au profit du dollar américain et du rand sud-africain qui deviennent les monnaies ayant cours légal et forcé au Zimbabwe. Encore aujourd’hui, le pays a du mal à payer ses dettes auprès du FMI et de la Banque mondiale.
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Les Zimbabwéens continuent à bénéficier d’un bon système éducatif et d’une bonne formation universitaire. Mais c’est tout ce qui leur reste. Le système de santé s’est effondré. Robert Mugabe, qui s’est enrichi, se soigne à Singapour. A la fin de leur formation, les Zimbabwéens n’ont d’autre choix que de chômer. Cette situation, qui dure depuis 17 longues années, avait créé les conditions d'un renversement du régime. Mais soutenu par l’armée, la Zanu-PF, son parti, et les influents vétérans de la guerre d’indépendance, le chef d'Etat était protégé des turpitudes.
Tant que les contestations faisaient l’objet de violentes répressions et que les opposants étaient emprisonnés, rien ne pouvait ébranler Mugabe. En février dernier, neuf mois avant sa chute, c’est tout naturellement que le chef du parti est investi candidat à la présidentielle de 2019. Il a alors 93 ans, mais il se sent encore l’âme de gouverner le Zimbabwe, sept années supplémentaires. Ou peut-être voulait-il juste placer sa charmante épouse, Grace, 50 ans? Mauvais calcul. Emmerson Mnangagwa, son vice-président et dauphin naturel, n’était pas prêt à céder son statut de successeur à Grace Mugabe. Lundi 6 novembre, ce qui devait arriver arriva.
Robert Mugabe s’en est violemment pris à celui que tout le monde surnomme le Crocodile, à la fois pour son caractère intrépide et impitoyable. Le dauphin Mnangagwa, ancien ministre des Finances, de la Défense et chef des services secrets, est chassé de son poste et contraint à s’exiler sans autre forme de procès. Il est accusé de «manque de loyauté, de respect et de sérieux» et d’être «malhonnête».
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Mais Mangagwa avait décidé de ne pas subir le même sort que sa prédécesseur Joyce Mujuru, évincée en décembre 2014 et qui vit depuis dans l’anonymat. Le Crocodile avait tissé de solides alliances, non pas seulement dans le parti, mais au sein de l’armée. Une fois à l’abri en Afrique du Sud, il promet de «revenir bientôt pour gouverner le pays». Les évènements se sont ensuite enchaînés.
Ainsi, le mercredi15 novembre, les Zimbabwéens se réveillent dirigés pratiquement par les militaires qui ont arrêté dans la nuit des responsables de la police et des ministres. Mugabe affirme à Jacob Zuma qu’il est lui-même détenu dans sa propre résidence. L’armée déclare à la télé que «ceci n’est pas un coup d’Etat», comme ont l’habitude de le dire les militaires quand ils prennent le pouvoir. Mais effectivement, au Zimbabwe en cette fin de printemps austral, tout a été fait pour que «ceci ne soit pas un coup d’Etat». L’armée a même appelé la population à sortir manifester contre Robert Mugabe pour obtenir sa démission.
Au sein de la Zanu-PF, la première dame, qui dirigeait jusqu’ici la puissante Ligue des femmes, a été démis de ses fonction avant que Robert Mugabe himself ne soit également écarté. Le vieux président en avait vu d’autres, même s’il savait que cette fois, la partie était perdue. Il avait décidé de jouer les prolongations, afin de mieux négocier son départ.
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Mercredi 22 novembre, quand les députés se retrouvent pour voter sa destitution, Mugabe envoie une lettre au président du Parlement pour présenter sa démission avec effet immédiat. Deux jours plus tard, après que la justice a annulé le limogeage du vice-président Mnangagwa, ce dernier prête serment.
Aujourd’hui, le nouveau président zimbabwéen veut tourner la page, même s'il est tout aussi comptable que Robert Mugabe pour avoir participé de manière active à la gestion du pays et avoir contribué à la plonger dans la situation désastreuse qui est la sienne. Il veut que reviennent les fermiers blancs et que le Zimbabwe renoue avec la croissance. S’il y arrive, la jeune génération, qui ne rêve que de travail, acceptera sans doute que la Zanu-PF reste encore au pouvoir. Mais l’Histoire lui pardonnera-t-elle son implication dans le Gukurahundi, le massacre, entre 1983 et 1987, de 20.000 civils de l’ethnie Ndebele, dans l’est du Zimbabwe?