Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, dont Joshua Osih est originaire, sont en proie depuis fin 2016 à une crise politique qui a dégénéré fin 2017 en un conflit entre forces armées et séparatistes anglophones. Il a fait des dizaines de morts, dont au moins 80 soldats et policiers, et a contraint environ 200.000 personnes à fuir de chez elles.
L'ombre de ce conflit plane sur l'organisation en zone anglophone de l'élection présidentielle du 7 octobre à laquelle M. Osih et sept autres candidats affronteront Paul Biya, 85 ans, qui se représente après 35 ans au pouvoir. C'est la première fois qu'il se présente à ce scrutin pour le Social democratic front (SDF, principal parti d'opposition) qui était jusqu'alors représenté par John Fru Ndi, son leader historique.
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"Si le président de la République, commandant en chef des forces armées, envoie ses troupes tirer sur des Camerounais, c'est lui le seul responsable", a déclaré M. Osih, rencontré à Douala (Ouest) au siège de campagne du SDF.
Contrairement à d'autres candidats, il se dit "contre" une enquête sur les accusations d'exactions qui auraient été commises par l'armée dans les régions anglophones, car, estime-t-il, "il y a une responsabilité politique qui est de loin supérieure à la responsabilité de simples militaires".
Biya "ne comprend rien"
"On ne peut pas déplacer le problème sur des individus sur le terrain alors que tout le corps (de l'armée) n'avait rien à faire là", affirme le candidat du SDF. "Je ne veux pas que, parce que le chef des armées a envoyé l'armée faire une guerre qui n'est pas la sienne, on discrédite toute cette armée".
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"La responsabilité de la violence dans la crise dite anglophone, c'est M. Biya", martèle Joshua Osih, député et homme d'affaires métis de 49 ans parfaitement bilingue. "On a un président qui ne comprend rien à ce qui se passe au Cameroun, qui passe le plus clair de son temps à l'étranger et qui pense qu'envoyer l'armée (...) peut régler ce problème", ajoute-t-il. Or, "il ne le peut pas", car "on peut tuer les hommes, mais on ne peut pas tuer les idées".
Selon lui, "on est entré en guerre civile parce qu'on a un gouvernement qui est absent, on n'a pas de leadership, pas de président de la République: la nature a horreur du vide et donc ça s'est embrasé très rapidement et la spirale de la violence a pris le dessus".
Il note que "si on avait un leadership politique, le président de la République aurait au moins fait le déplacement dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest pour essayer de toucher du doigt les réalités locales et regarder comment apporter un début de solution".
"La seule sortie qu'il a eue, c'était celle de déclarer la guerre contre son propre peuple" ajoute-t-il, affirmant que "l'économie de la guerre profite à certains (au sein de l'armée et du régime, ndlr) et c'est ce qui fait que nous restons dans cette spirale de violence".
Retour au fédéralisme
Paul Biya "croit pouvoir résoudre ce problème de façon militaire" et "ça veut dire qu'il reconnaît que soit il ne gouverne pas véritablement ce pays, soit il ne comprend pas encore que c'est un problème politique auquel il faut apporter des réponses politiques".
"La réforme institutionnelle majeure nécessaire pour apporter un début de solution à cette crise, c'est le fédéralisme", affirme l'opposant. Cette forme d'organisation de l'Etat qui a existé de 1961 à 1972 au Cameroun, devenu depuis un Etat unitaire, est aujourd'hui fermement rejetée par le pouvoir central.
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Joshua Osih affirme qu'il existe dans son pays "une communauté linguistique qui a un contentieux historique réel et qui s'estime marginalisée à juste titre". Les anglophones représentent 20% de la population du Cameroun, qui après avoir été sous domination allemande, a été colonisé par le Royaume-Uni et la France jusqu'à son indépendance en 1960 pour sa majorité francophone et en 1961 pour sa minorité anglophone.
"Je crois qu'il n'y a aucun Camerounais qui ne soit pas d'accord avec les revendications politiques posées par le problème de marginalisation", estime Joshua Osih, mais les anglophones "ont eu le courage de poser le problème sur la table". Il juge la crise anglophone "très importante" et, selon lui, "les Camerounais attendent des réponses claires, simples et audacieuses pour en sortir".