Exit Trump: voici pourquoi l’Afrique ne sera vraiment pas nostalgique de ses quatre années à la Maison Blanche

Donald Trump, l'actuel locataire de la Maison Blanche.

Donald Trump, l'actuel locataire de la Maison Blanche. . DR

Le 09/11/2020 à 12h43, mis à jour le 09/11/2020 à 13h11

«Pays de merde», expulsions de migrants, pressions sur les Etats, veto sur la désignation d'une Nigériane à l’OMC... L'échec essuyé par Donald Trump est salué par tous en Afrique, tant le futur ex-locataire de la Maison Blanche a largement ignoré le continent pendant son unique mandat. Analyse.

L’ascension de Joe Biden à la Maison Blanche et l’éviction de Donald Trump ne pourra qu’insuffler une nouvelle dynamique aux relations américano-africaines. Des relations qui ont été réduites à leur plus simple expression durant les quatre années qu'aura passé le magnat de l'immobilier à la tête des Etats-Unis.

D’ailleurs, beaucoup de dirigeants africains se sont empressés de féliciter le futur nouveau locataire de la Maison Blanche, Joe Biden, qui devient le 46e président des Etats-Unis. C’est le cas de Macky Sall (Sénégal), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), Muhammadu Buhari (Nigeria) et même de Abdel Fettah Al-Sissi (Egypte), qui figuraient pourtant parmi les meilleurs «amis» de Trump.

Les dirigeants africains, à l’instar des peuples du continent, applaudissent globalement la fin des quatre ans de Trump dans le bureau Ovale. Il faut dire que l’Afrique n'a pas du tout fait partie des préoccupations du futur ex-président américain, qui a carrément oublié le continent durant ses années au pouvoir.

Ses sorties et ses actes à l’encontre du continent ont clairement montré que pour lui, l’Afrique ne compte pas. D’ailleurs, le couac le plus commenté de Trump à l’adresse du continent reste sa qualification, en janvier 2018, d'Haïti et de quelques pays africains de «pays de merde», lors d’une conversation qu'il a tenu en privé à la Maison Blanche, et qui, dévoilée, a entraîné de vives réactions en Afrique, et aux Etats-Unis aussi. 

Autre preuve que le continent ne figurait pas dans son échiquier politique, Trump a attendu deux ans pour nommer son «Monsieur Afrique», le secrétaire d’Etat adjoint aux Affaires africaines, en la personne de Donald Yamamoto.

Toutefois, au niveau des actes, dès sa prise de fonction, il a demandé à de nombreux pays africains d’accepter le retour de leurs ressortissants en situation irrégulière et qui avaient été condamnés pour divers délits aux Etats-Unis.

Du coup, de nombreux ressortissants africains dont des Nigérians, Sénégalais, Guinéens, ont été expulsés des Etats-Unis. Et les pays qui ont traîné à répondre à cette injonction ont tout simplement vu leurs ressortissants et diplomates interdits de visas d’entrée aux Etats-Unis par l’administration Trump. C’est notamment le cas de la Guinée d’Alpha Condé.

Et comme si tout cela ne suffisait pas, plusieurs pays africains ont été placé sur la liste «infame» du «Travel Ban» par l’administration Trump. C’est le cas de la Libye, du Soudan, du Tchad et de la Somalie, à côté de l’Iran, l’Irak, la Syrie et du Yémen.

Si le terrorisme est avancé pour justifier cette mise au ban des accusés, le cas du Tchad, allié historique dans la lutte contre le terrorisme, mais coupable d’avoir infligé une forte amende au géant pétrolier américain Exxon Mobil, montre clairement les soubassements de ces sanctions, infligés uniquement à des pays musulmans, et qui ne sont pas toujours fondées sur des critères justes.

Plus récemment, en janvier 2020, Trump a annoncé aussi l’interdiction d’immigration pour six pays, dont quatre d'Afrique: la Tanzanie, le Soudan, l’Erythrée et le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, pourtant allié des Etats-Unis depuis son indépendance, en 1960.

Autre preuve que pour Trump, l’Afrique ne compte pas: au coyrs de ses quatre années à la Maison Blanche, il n’a reçu que trois chefs d’Etat africains: Muhammadu Buhari du Nigéria, première puissance économie et premier producteur de pétrole du continent, Uhuru Kenyatta, président du Kenya, qui négocie un Accord de libre-échange avec les Etats-Unis, et l’Egyptien Abdel Fettah Al-Sissi, très proche des Etats-Unis pour des raisons géopolitiques et géostratégiques.

Le raïs égyptien a certainement été l’un des rares présidents africains à souhaiter la victoire de Donald Trump, qui l’avait tout dernièrement soutenu dans son différend face à l’Ethiopie sur le Grand Barrage de la Renaissance Ethiopienne (GERD), donnant même l’aval de bombarder le barrage.

Naturellement, le président américain, durant ses quatre années à la Maison Blanche, n’a pas mis pieds sur le continent, contrairement à ses prédécesseurs Clinton, Bush et Obama. Son épouse, Melania, si, et photographiée sur le continent coiffée d'un chapeau appartenant à la mode coloniale... Blanche, bien entendu. 

Donald Trump n'a pas manqué, aussi, de mettre la pression sur certains Etats africains. Cela a été le cas avec le Rwanda: après que le pays dirigé par Paul Kagame ait interdit l’importation de vêtement usagés américains, Donald Trump a menacé de Kigali retirer de l’Agoa, l'African Growth Opportunities Act, loi américaine sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique, qui avait été votée et promulguée en mai 2000 par le Congrès américain, sous l'égide du Président Bill Clinton. 

De même, tout dernièrement, dans le différend opposant l’Ethiopie à l’Egypte, Trump n’a pas hésité à prendre parti au profit de son partenaire stratégique, l’Egypte, contribuant à faire échouer les négociations pourtant menées sous les auspices des Etats-Unis. Le futur ex-président des Etats-Unis a même, par la suite, suspendu une partie de l’aide publique américaine à Addis-Abeba, avant de justifier l’éventualité de frappes égyptiennes sur le barrage de la Renaissance éthiopienne.

Une pression identique a été exercée contre les dirigeants de la transition soudanaise, afin qu’ils établissent des relations avec Israël.

Traînant des pieds, certainement pour attendre les résultats des élections américaines, les dirigeants soudanais ont vu Donald Trump signer, le lundi 2 novembre dernier, à quelques heures de l’élection présidentielle américaine, la prolongation des sanctions contre leur pays, continuant ainsi à placer le Soudan sur la liste noire américaine des pays soutenant le terrorisme.

Trump demande à Khartoum de payer 335 millions de dollars de dédommagements «aux victimes américaines du terrorisme et à leurs familles». Le président américain a souligné que lorsque cette somme sera reversée, il retirera le Soudan «de la liste des Etats soutenant le terrorisme».

Dernier acte à l’encontre du continent, le refus catégorique des Etats-Unis d’adouber la candidature de la nigériane Ngozi Iweala, soutenue par plus de 100 Etats sur 164 membres pour occuper le poste de directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Plusieurs pays africains et des pays de l’Union européenne avaient pourtant soutenu sa candidature. Ce veto américain empêche, pour le moment, la Nigériane de devenir la première africaine à diriger cette institution, née des accords du GATT, conclus en 1994 à Marrakech, au Maroc.

Bref, le seul intérêt de Trump en Afrique était la lutte contre le terrorisme. Mais même sur ce point, il a été à plusieurs reprises sollicité de vive voix par ses partenaires européens, notamment la France, pour maintenir ses forces et ses bases militaires.

Conséquence du faible intérêt porté au continent africain, l’aide publique au développement accordé par les Etats-Unis a fortement baissé, de 8 à 5 milliards de dollars. De même, l’administration Trump n’a cessé de solliciter la baisse des dépenses des missions de la paix de l’ONU en Afrique, mettant en danger la stabilité de certaines régions du continent dont les forces des Nations Unies demeurent les derniers remparts pour assurer la paix et la sécurité. C’est le cas en Centrafrique, en Républque Démocratique du Congo, au Soudan du Sud, au Mali, etc. Les Etats-Unis sont pourtant le principal bailleur des missions de maintien de la paix de l’ONU, avec 28% du budget, dont les trois quarts sont affectés au continent africain.

Ce peu d’intérêt qu'a manifesté Trump pour l’Afrique trouve sa justification dans la vision, «America First», et le peu d’intérêt stratégique que représente l’Afrique, depuis que les Etats-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole, grâce au pétrole de schiste, assurant ainsi leur quasi-indépendance vis-à-vis de l’or noir produit en Afrique.

De même, Donald Trump a fortement réduit,de près d'un tiers, les dotations de l’USAID, l’agence pour l’aide extérieure, très présente en Afrique. Il a même coupé le financement de certaines agences dont l’African development foundation, finançant de petites entreprises en Afrique, le Fonds vert pour le climat, etc.

Conséquence, l’Amérique s’est davantage éloignée de l’Afrique. Aucune initiative n’a été prise par l’administration Trump au profit du continent, contrairement à ses prédécesseurs. C'est le président Bill Clinton qui a en effet été à l’origine, en mai 2000, de l’African growth and opportunity act (AGOA), auquel 39 pays africains ont adhéré, un programme qui a été prolongé en 2015, par le président Barack Obama, jusqu’en 2025.

Avant lui, le Républicain G. W. Bush avait été à l’origine du Plan d’urgence pour la lutte contre le Sida (PEPFAR), lancé en 2004 et doté d’un budget de 15 milliards de dollars. Il a aussi lancé en 2002 l’Initiative pour l’Education en Afrique, qui vise à améliorer l’accès à l’éducation sur tout le continent.

De même, le Millenium challenge Account (MCA) a été créé en 2002 et lancé en 2004 par le président Bush avec, à la clé, 10 milliards de dollars sur trois ans, et qui bénéficie à de nombreux pays africains. Il s’agit d’un fonds destiné à accélérer la croissance en Afrique en vue de réduire la pauvreté par le biais de la croissance.

Paradoxalement peut-être, Bush a été le président américain qui en a le plus fait pour l’Afrique. Certains y ont vu les influences des Afro-américains Colin Powel (Secrétaire d’Etat à la Défense) et la conseillère à la Sécurité nationale Condoleeza Rice, qui avait déclaré que «l’Afrique faisait partie de l’histoire américaine».

Pour sa part, Barack Obama, tout en prolongeant les programmes initiés par ses prédécesseurs (Agoa, MCA, etc.), a lancé des programmes phares dont le Young African Leaders Initiatives (Yali) visant à former de jeunes leaders africains aux Etats-Unie

Avec Trump, rien de tout cela, l’Afrique n'a pas eu droit au chapitre. Et comme la nature à horreur du vide, l’absence des Etats-Unis a été plus que compensée par la Chine, qui a consolidé ses positions de premier partenaire commercial et de premier investisseur du continent.

Les Américains semblent avoir compris, à la fin de l'unique mandat qu'aura effectué Trump à la Maison Blanche, qu’il n’est pas dans leur intérêt de délaisser totalement le continent, avec ses matières premières, notamment ses terres rares, dont l’Amérique a grandement besoin, et son marché de plus de 1,3 milliard de consommateurs... A la Chine et aux européens.

C’est donc pour contrer l’influence grandissante de la Chine sur le continent que Donald Trump a fini par dépêcher ses émissaires de premier rang en Afrique durant ces dernières années de mandat.

Bref, la parenthèse tumultueuse des relations Etats-Unis-Afrique sous l’ère Trump ne laissera pas de bons souvenirs aux Africains.

D'ailleurs, beaucoup pensent que les relations entre les deux parties ne pourraient qu’évoluer plus favorablement avec l’arrivée du démocrate Joe Biden.

Une chose est certaine, le ton sera désormais différent, et empreint de bien plus de respect.

Ensuite, centriste et penchant vers la gauche, Biden devrait mener une politique migratoire différente de celle de son prédécesseur.

En outre, ayant été fortement soutenue par la communauté Afro-américaine, il devrait aussi, contrairement à son prédécesseur, avoir une politique africaine identique, au moins, à celle de l’ancien président Barack Obama, dont il a d'ailleurs été le vice-président, pendant huit années. 

Par Moussa Diop
Le 09/11/2020 à 12h43, mis à jour le 09/11/2020 à 13h11