"Est-ce qu'ils me rendront ma maman comme elle était avant?", questionne Angèle, dont la mère est une rescapée de l'accident de train de la Camrail qui a fait au moins 79 morts et 600 blessés au Cameroun en octobre 2016.
Plus de huit mois après le drame d'Eseka, la maman d'Angèle, 78 ans, est en phase de rééducation, après une opération et d'interminables soins.
"Elle ne peut plus rien faire. Lors de l'accident, elle avait eu un déboîtement au dos. Ses pieds sont déformés", raconte sa fille.
La compagnie ferroviaire Camrail, filiale locale du groupe Bolloré, dont la responsabilité dans l'accident a été établie par une enquête officielle, lui a fait une offre d'indemnisation, mais sa fille estime qu'elle "n'est pas convenable".
Le 23 juin, Camrail a dénoncé "l'attitude et les pratiques de certains agents et collectifs d'avocats qui, agissant à des fins mercantiles, bloquent toute discussion d'indemnisation", alors que la controverse enfle au Cameroun autour de cette question.
Le plus grand collectif d'avocats constitué pour défendre des victimes de l'accident de train a immédiatement réagi, indiquant que la compagnie ferroviaire "veut imposer une indemnisation représentant 9,4% de la réparation intégrale des rescapés et victimes".
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Composé de trois avocats camerounais entourés de plusieurs spécialistes, ce collectif s'occupe de 171 dossiers (neuf morts, 160 blessés et deux disparus).
Pour 54 dossiers traités, il a chiffré à 1,8 milliard de FCFA (2,7 millions d'euros) le montant des indemnisations, mais Camrail a fait une contre-proposition à 171 millions de FCFA (260.687 euros).
Selon Me Michel Voukeng, l'offre a été rejetée par les victimes, alors que le collectif dont il fait partie vient d'intenter un procès contre Camrail et d'autres reponsables, selon eux, du drame, dont l'industriel français Vincent Bolloré.
Le but? Les contraindre à communiquer les polices d'assurances couvrant l'activité du transporteur ferroviaire.
Le collectif pointe en effet du doigt dans sa plainte le texte de la concession de la compagnie pour exploiter le chemin de fer, qui stipule qu'elle doit souscrire quatre polices d'assurances, dont une couvrant les risques de "dommages corporels, matériels et immatériels consécutifs à tout sinistre survenu dans le cadre de l'exploitation ferroviaire".
Chèque refusé
Le 21 octobre 2016, un train bondé avait déraillé à proximité de la ville camerounaise d'Eseka (centre), environ une heure après son départ de la gare de Yaoundé.
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La principale cause de l'accident est "une vitesse excessive", selon une enquête officielle demandée par la présidence camerounaise, qui a pointé la responsabilité de Camrail.
Peu après l'accident, plusieurs collectifs d'avocats s'étaient spontanément constitués pour défendre les intérêts des familles des victimes. Mais certains se sont passés d'avocats, préférant directement solliciter des indemnisations auprès de Camrail.
Le transporteur affirme avoir reçu un millier de demandes de réparations, précisant que "plusieurs centaines de victimes ont déjà reçu (...) des indemnisations pour préjudices matériels et/ou corporels".
Mais sur quelles bases ces réparations ont-elles été payées? Quel est le montant global versé aux premières victimes indemnisées? Les polices d'assurances souscrites par la société couvrent-elles le risque ferroviaire?
Contactée par l'AFP, Camrail n'a pas réagi à ces interrogations.
Un second collectif d'avocats gérant 61 dossiers (six morts et 55 blessés ou traumatisés) est récemment parvenu à un accord d'indemnisation des ayants droits de cinq familles de décédés, selon un de ses membres, Me Guy Olivier Motong.
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Des négociations se poursuivent pour le reste des cas. L'avocat Moteng n'a pas souhaité révéler le montant total négocié, mais, selon lui, "entre ce qui était proposé au début des négociations et aujourd'hui, de très grands pas ont été faits".
Pour sa part, le plus grand collectif d'avocat des victimes estime que la compagnie ferroviaire a usé notamment de "ruse" pour passer des accords avec certaines victimes.
"Une dame de Camrail m'a contacté. Elle m'a harcelé pour que je prenne un chèque de 5,4 millions de FCFA (8.232 euros) en me disant que c'était une avance sur mon indemnisation", témoigne une rescapée tchadienne de l'accident, Chantal.
"J'ai refusé le chèque en lui disant que je ne sais même pas quel est le montant total de l’indemnisation. Je lui ai demandé de cesser de me harceler", poursuit-elle.
"J'étais totalement paralysée après l'accident", se rappelle-t-elle. Internée dans un centre dédié aux handicapés à Yaoundé, Chantal est en phase de rééducation. "La main gauche commence à peine à se fermer. J'ai très mal au niveau de l'épaule. J'ai régulièrement des sensations de brûlures dans les jambes", se plaint-elle.
"Depuis plus de huit mois, je suis sans activité et mon mari est au chômage depuis 2 ans. Que veulent-ils que je fasse avec 5,4 millions?", questionne-t-elle.