Nigeria: des millions de dollars siphonnés au nom de la lutte contre Boko Haram

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Le 28/05/2018 à 13h23

Des millions de dollars officiellement débloqués par le gouvernement nigérian pour lutter contre l'insécurité alimentent en réalité un vaste de système de "caisses noires" destinées à la corruption, ont dénoncé lundi des ONG, à moins d'un an de l'élection présidentielle.

Le Nigeria est le théâtre de plusieurs conflits sanglants, de l'insurrection du groupe jihadiste Boko Haram dans le Nord-Est aux affrontements incessants entre agriculteurs et éleveurs pour l'accès aux ressources dans les États du centre.

Présente sur tous les fronts, l'armée a également été déployée dans certaines régions du Nord, en proie aux gangs armés qui commettent enlèvements et vols de bétail à grande échelle, ainsi que dans le Sud-Est, où des groupes rebelles sabotent régulièrement les infrastructures pétrolières.

Alors que le budget de la Défense est estimé à environ 1,2 milliard de dollars (1,03 milliard d'euros), Transparency International et l'ONG nigériane Civil Society Legislative Advocacy Centre estiment que plus de 670 millions de dollars supplémentaires (571 millions d'euros) sont distribués chaque année dans la plus grande opacité.

Les "security votes" sont des fonds spéciaux alloués - le plus souvent en espèces - à de hauts responsables politiques pour des dépenses discrétionnaires dans le domaine de la sécurité, selon le rapport intitulé "L'argent camouflé: comment les +security votes+ (fonds spéciaux de sécurité) nourrissent la corruption au Nigeria".

A titre de comparaison, les sommes concernées dépassent le budget actuel de l'armée nigériane, et représentent neuf fois l'aide financière américaine dans le secteur de la sécurité depuis 2012.

"Le Nigeria n'aurait sans doute pas besoin d'une telle assistance s'il réduisait l'utilisation des +security votes+ et les reprogrammait dans le budget officiel de la défense et de la sécurité du pays", affirme le rapport.

Ces fonds représentent en réalité "une forme de corruption historique au Nigeria", a affirmé Katherine Dixon, de Transparency International, citée dans le document, qui évoque "une caisse noire facile à utiliser et totalement opaque".

"La corruption dans le secteur crucial de la défense et de la sécurité fait le jeu de ceux qui cherchent à semer les graines de l'instabilité et de la terreur", a-t-elle ajouté.

Ce phénomène, selon Mme Dixon, est en partie responsable du "sous-financement" chronique des forces armées et "nourrit des groupes qui pourraient (vouloir) déstabiliser les élections".

Augmentation alarmante

Le président Muhammadu Buhari, ancien dirigeant militaire, a été élu il y a trois ans sur la promesse de vaincre Boko Haram et d'éradiquer la corruption endémique au sein de l'administration.

Il affirmait alors que sous son prédécesseur Goodluck Jonathan, les soldats manquaient d'armes et de munitions pour combattre les jihadistes, qui s'étaient emparés de pans entiers du territoire nigérian.

L'un des premiers actes de la présidence Buhari a été l'ouverture d'une vaste enquête sur les pratiques opaques dans les contrats d'armement, qui a débouché sur l'arrestation de l'ancien conseiller national à la sécurité, Sambo Dasuki.

Ce colonel est accusé d'avoir détourné du budget de la Défense quelque 2 milliards de dollars destinés à la lutte contre Boko Haram pour financer la campagne du président sortant, Goodluck Jonathan, contre Buhari en 2015.

En décembre, le gouvernement Buhari a annoncé le retrait d'un milliard de dollars dans les fonds d'excédents pétroliers (Excess Crude Account) pour faire face aux défis sécuritaires actuels au Nigeria.

Le principal parti d'opposition, le People's Democratic Party, a, à son tour, accusé le All Progressive Congress (APC), au pouvoir, d'utiliser cet argent pour permettre à M. Buhari de se faire réélire en février prochain.

Selon Transparency International, les bénéficiaires des "security votes" ont explosé, passant de 30 dans le budget fédéral de 2016 à plus de 190 cette année, en dépit des promesses de transparence du chef de l’État.

"A l'approche des élections de 2019, cette augmentation soudaine devrait alarmer ceux qui supervisent les dépenses publiques nigérianes", affirme le rapport.

Les deux ONG demandent en outre à tous les futurs candidats à la présidentielle de s'engager à interdire la pratique et à renforcer les procédures d'examen législatif des dépenses sécuritaires.

Selon un précédent rapport de Transparency International, plus de 15 milliards de dollars ont été siphonnés des caisses de l'armée dans l'histoire moderne du Nigeria.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 28/05/2018 à 13h23