Afrique du Sud: retour chronologique sur les violences xénophobes

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Le 05/09/2019 à 09h50, mis à jour le 06/09/2019 à 10h55

Les violences ont visé les communautés africaines immigrées, notamment nigérianes, accusées d’être responsables du taux de chômage élevé du pays.

A Johannesburg, le retour à la normale s’amorce progressivement. Depuis dimanche, la plus grande ville d’Afrique du Sud était le théâtre de graves violences et d’émeutes xénophobes. Cinq personnes ont été tuées. Si plus de 200 autres ont été arrêtées, les forces de l’ordre et le gouvernement ont néanmoins peiné à endiguer les événements. Que s’est-il passé ?

Un incendie met le feu aux poudres

La vague de violences et de pillages a débuté dimanche 1er septembre après la mort de trois personnes dans l’incendie encore inexpliqué d’un bâtiment du centre-ville de Johannesburg, la principale ville du pays, avant de se propager à d’autres quartiers de la ville, puis à Pretoria, la capitale politique située à une soixantaine de kilomètres.

Lundi, le centre de Johannesburg a été envahi par des centaines de personnes armées de gourdins et de pierres qui ont incendié et pillé de nombreux magasins, souvent tenus par des commerçants étrangers. Les immigrés africains, notamment nigérians, sont la cible principale de ces violences.

Une grève de routiers dégénère

De graves incidents ont également eu lieu lors d’une grève controversée des chauffeurs-routiers du pays, qui dénoncent le recours croissant de leurs employeurs à des étrangers. Les forces de l’ordre ont interpellé au moins vingt personnes dans la seule province du KwaZulu-Natal, dans le nord-est du pays, après l’incendie de plusieurs camions, a rapporté un porte-parole de la police locale, le brigadier Jay Naicker.

«Le peuple sud-africain a faim mais il reste à la maison, alors que des entreprises du pays préfèrent employer des étrangers payés moins cher, a déploré lundi auprès de l’AFP la représentante d’un syndicat de routiers, Sipho Zungu. Ça fait deux ans que l’on discute avec le gouvernement et les patrons, mais il n’y a toujours pas de solution».

Les principaux syndicats du secteur ont condamné les violences et pris leurs distances avec le mouvement.

Morts et arrestations

Depuis le début de cet épisode de violences, des scènes de pillages de commerces étrangers ont lieu, la nuit, à Johannesburg. De nombreuses images ultra-violentes (des scènes de passages à tabac, que nous avons choisi de ne pas relayer ici) ont inondé les réseaux sociaux. Dans la journée de mardi, la police a tiré des balles en caoutchouc dans le centre de Johannesburg, pour disperser des centaines de personnes, certaines armées de machettes et de haches.

« Ils ont tout brûlé », a témoigné un commerçant originaire de Bangladesh, Kamrul Hasan, devant son commerce incendié.

La police a annoncé avoir retrouvé deux corps carbonisés à Johannesburg, ce mercredi. Cela porte le bilan des violences à au moins sept morts depuis dimanche. « Le plus grand nombre » de victimes sont des Sud-Africains, avait indiqué plus tôt le ministre de la Police, Bheki Cele.

« Ce sont des corps carbonisés, deux corps dans un commerce qui a été brûlé » dans le township d’Alexandra, a déclaré à l’AFP un porte-parole de la police de Johannesburg, Wayne Minnaar.

Les images violentes diffusées sur les réseaux sociaux laissent craindre que le bilan de ces violences puisse s’alourdir.

Ramaphosa accusé d'inaction

L’opposition a accusé le président Cyril Ramaphosa d’inaction face aux émeutes et appelé « à sortir de sa cachette et à agir ». Jusque-là silencieux, celui-ci a finalement pris la parole mardi après-midi pour « condamner dans les termes les plus forts » les violences xénophobes.

«Il ne peut y avoir aucune justification pour qu’un Sud-Africain s’en prenne à des gens d’autres pays», a insisté le président de la «nation arc-en-ciel», qui a convoqué une réunion ministérielle d’urgence.

«On ne peut pas permettre aux gens de faire la loi», a estimé de son côté David Makhura, le «Premier ministre» de la province du Gauteng, qui inclut Johannesburg et la capitale Pretoria. «Il n’existe pas un seul pays où il n’y ait pas d’étrangers. Tous les pays sont confrontés aux problèmes des réfugiés, des demandeurs d’asile», a-t-il ajouté devant la presse dans le township d’Alexandra.

Le ministre de la Police Bheki Cele avait, lui, estimé la veille que les violences de lundi relevaient davantage de la «criminalité» que de la «xénophobie». «La xénophobie sert d’excuse», a-t-il jugé après une tournée des quartiers affectés.

L'Union africaine condamne

Cette flambée de violences a pris une tournure continentale. Le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a dénoncé mardi des attaques «abjectes».

Le ministre des Affaires étrangères du Nigeria, Geoffrey Onyeama, a vivement réagi aux scènes de pillages de lundi dirigées, a-t-il dit, contre des magasins de ressortissants de son pays. «Ça suffit ! Nous allons prendre des mesures», a-t-il lancé sur Twitter, dénonçant «l’inefficacité» de la police sud-africaine.

Le chef de l’Etat nigérian Muhammadu Buhari s’est dit «très inquiet» de ces violences contre les immigrés africains, notamment ceux venus de son pays, et a annoncé l’arrivée d’un «envoyé spécial» en Afrique du Sud.

De nombreuses personnalités nigérianes ont appelé au «boycottage total» des entreprises sud-africaines, telles que le fournisseur de programmes télévisés DSTV ou le géant des télécoms MTN. Mercredi, la sécurité a été renforcée autour des enseignes sud-africaines au Nigeria, après des appels à la violence.

Mardi soir, la Zambie a annoncé le report d’un match de football amical qui devait opposer samedi son équipe nationale à celle de l’Afrique du Sud «pour des raisons de sécurité», a indiqué le secrétaire général de la fédération, Adrian Kashala.

Retour au calme

Le calme est finalement revenu mercredi dans les rues de Johannesburg, qui restent sous haute surveillance policière.

Des commerces ont timidement commencé à rouvrir dans le centre de la ville et le township d’Alexandra, théâtre de violentes émeutes. Quelques habitants fouillaient dans les décombres de magasins pour récupérer de la nourriture ou des tôles.

Mercredi matin, le président Cyril Ramaphosa a de nouveau condamné les violences qui ont éclaté dimanche à Johannesburg. «Tout le monde est bienvenu en Afrique du Sud», a-t-il assuré.

Les violences xénophobes, 

Première puissance industrielle du continent, l’Afrique du Sud accueille de nombreux migrants venus de toute l’Afrique australe. Elle est le théâtre régulier de violences urbaines qui visent souvent les communautés immigrées, accusées d’être responsables des difficultés de son économie et de son taux de chômage record (29 %).

En 2015, sept personnes ont été tuées au cours de pillages visant des commerces tenus par des étrangers à Johannesburg et à Durban. En 2008, des émeutes xénophobes avaient fait 62 morts dans le pays.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 05/09/2019 à 09h50, mis à jour le 06/09/2019 à 10h55