Faux médicaments: ces «remèdes» qui font mal à l’Afrique

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Le 17/03/2018 à 19h08, mis à jour le 17/03/2018 à 19h09

Les faux médicaments constituent un véritable fléau en Afrique. Ils causent plus de 200.000 morts par an et autant de malades par an. Ce trafic, considéré comme le plus rentable, devant celui des cigarettes et la drogue, prolifère malheureusement grâce à un terrain favorable.

Au Bénin, près de 104 tonnes de faux médicaments ont été saisies au titre de l’année 2017. L’ampleur du phénomène a fini par pousser le gouvernement béninois à agir. Le mardi 13 mars, la justice béninoise a condamné les 7 principaux distributeurs pharmaceutiques du Bénin à 4 ans de prison ferme chacun et 100 millions de francs CFA (152.439 euros) en dommages et intérêts, pour «ventes de médicaments falsifiés, exposition, détention en vue de vente, mise en vente ou vente de substances médicamenteuses falsifiées», à l’issue d’un procès qui a duré un mois.

De même, le gouvernement béninois a retiré la licence du laboratoire pharmaceutique indien New Cesamex, accusé d’être impliqué dans la distribution de faux médicaments, et suspendu le Conseil national de l’ordre des pharmaciens.

Le cas béninois n’est pas isolé. Le commerce de faux médicaments est un problème mondial, même s’il touche davantage les pays du Sud, dont particulièrement ceux d’Afrique. Ainsi, les faux médicaments concernant le paludisme et la tuberculose sont présents dans plus de 90 pays dans le monde.

Selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les faux médicaments ou produits médicaux «falsifiés» sont des produits dont l’identité, la composition ou la source sont représentées de façon trompeuse, que ce soit délibérément ou frauduleusement. L’OMS privilégie le terme «falsifié» pour faire référence aux risques pour la santé, sachant que celui de «contrefaçon» relève de la propriété intellectuelle.

L’ampleur du phénomène

Si le phénomène mondial, l’Afrique est le continent où le phénomène du trafic des produits pharmaceutiques illicites est le plus développé. En effet, selon l’OMS, un tiers des médicaments mis en vente en Afrique constitue des produits illicites ou contrefaits, alors qu’au niveau planétaire, les faux médicaments représentent 15% du marché mondial de pharmacie, selon l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (Iracm).

Pire, dans certains pays du continent, cette proportion de faux médicaments est comprise entre 30 et 70%. Cette proportion n’est pas exagérée quand on sait que les faux médicaments ne sont pas seulement distribués via les marchés parallèles, mais que les contrebandiers sont arrivés à irriguer aussi les circuits traditionnels et officiels.

D’ailleurs, au Bénin, ce sont les 7 principaux distributeurs pharmaceutiques, donc des grossistes, qui ont été appréhendés et condamnés pour trafic de faux médicaments.

Dans le registre de prolifération des faux médicaments, le Nigeria en est considéré comme la plaque tournante en Afrique de l’ouest. En août 2017, Interpol annonçait la saisie de 420 tonnes de faux médicaments, l’équivalent de 41 millions de cachets, dans 7 pays de l’Afrique de l’ouest: Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Nigeria et Togo. Des pays comme l’Afrique du Sud, le Bénin, le Togo et le Kenya son également cités, alors que le Maghreb est plus ou moins épargné.

Concernant les pays d’origine des faux médicaments, il y a d’abord la Chine et l’Inde, de grands pays producteurs de médicaments, notamment des génériques, et où des contrebandiers détournent les matières premières de médicaments des lignes de production pour alimenter les unités de fabrication de faux médicaments.

Par ailleurs, il faut souligner que toutes les pathologies sont concernées par les faux médicaments. C’est le cas notamment des produits pharmaceutiques les plus demandés: antibiotiques, anticancéreux, antipaludiques, etc. Ces faux médicaments touchent aussi les produits vétérinaires dont plus de la moitié, vendue en Afrique, est fausse, avec des conséquences sur toute la chaîne alimentaire (lait et viande).

Les causes

Pourquoi il y a une telle prolifération du trafic de médicaments? La raison principale est qu’il s’agit d’un trafic très rentable. Certains spécialistes jugent même qu’il est de loin plus rentable que le trafic de drogue. Ainsi, le Pr Marc Gentilini, délégué général de la Fondation Chirac pour l’accès à une santé et à des médicaments de qualité, soulignait que pour le crime organisé, le calcul est vite fait. Alors qu’avec 1.000 dollars investis dans le trafic de cocaïne rapporte 20.000 et dans celui des cigarettes au moins 40.000, la vente de faux médicaments crève le plafond, avec un gain estimé entre 200.000 et 450.000 dollars».

Selon la Fédération internationale de l’industrie du médicament (FIIM), la contrefaçon d’un blockbuster peut générer 500.000 dollars pour un investissement initial de 1.000 dollars.

Du coup, selon l’OMS, le chiffre d’affaires des faux médicaments est passé de 75 milliards de dollars en 2010 à 600 milliards de dollars en 2015.

En outre, du fait de la pauvreté qui sévit dans de nombreuses contrées africaines et les difficultés d’accès aux soins, l’Afrique demeure un continent idéal pour la prolifération des faux médicaments. En effet, mal informée et ne disposant pas les moyens, une partie de la population recourt automatiquement aux faux médicaments.

En plus, les contrefacteurs ont l’habileté de reproduire les hologrammes et autres procédés d’impression complexes, rendant difficile de distinguer le vrai du faux à l’œil nu, tant l’étiquetage et l‘emballage sont imités à perfection.

Par ailleurs, cette prolifération du trafic de faux médicaments s’explique par l’absence d’une législation adaptée et des moyens de contrôle dans de nombreux pays.

De même, la corruption et la porosité des frontières en Afrique constituent des terrains favorables à la prolifération des faux médicaments. Ainsi, ces produits inondent le marché parce que le plus souvent ils sont indétectables. Les faussaires utilisent les mêmes noms et les mêmes emballages et étiquettes que les produits originaux.

Enfin, l’absence de répression pousse aussi à la prolifération des contrebandiers, qui, généralement, écopent de légères peines, quand ils sont condamnés. Ces sanctions ne sont pas lourdes pour être dissuasives, comme c’est le cas pour les trafiquants de drogue.

D’ailleurs, les condamnations des 7 grossistes béninois à des peines de 4 ans de prison sont une exception. Généralement, les trafiquants s‘en tirent avec des peines légères de quelques jours à quelques mois, au plus. Dans certains pays (Congo, Liberia, etc.), il n’y a pas de législations relatives aux faux médicaments.

Les conséquences

Les conséquences du trafic de faux médicaments en Afrique sont catastrophiques. Selon l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM), 700 000 personnes meurent chaque année en Afrique à cause de faux médicaments.

A cela, il faut aussi ajouter le nombre de personnes qui tombent malades à cause de l’utilisation des faux médicaments fabriqués avec des produits qui ne répondent à aucune réglementation. En clair, le problème de faux médicaments est devenu un véritable fléau de santé publique dans de nombreux pays du continent.

Les solutions

Face à cette prolifération de faux médicaments qui représente jusqu’à plus de 30% du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique mondial estimé à plus de 1.000 milliards de dollars actuellement, les laboratoires essayent de contrer le fléau depuis quelques années.

Parmi les solutions mises en place par certains laboratoires figure la détection des faux médicaments. Ainsi, chez Merck, un scratch sous blister est mis sur les boîtes de médicaments. Les acheteurs, pour être sûr d’avoir acheté un bon produit, peuvent envoyer l’image par messagerie au laboratoire qui certifie au consommateur l’authenticité des médicaments.

Par ailleurs, certains pays adaptent leur arsenal législatif et juridique pour contrer cette prolifération des faux médicaments. Pour sa part, le groupe pharmaceutique français Sanofi travaille sur la sérialisation des médicaments pour détecter ceux qui sont contrefaits. Mieux, des éléments sont ajoutés sur les paquets de médicaments et ne sont visibles qu’avec un lecteur approprié dont disposent les douanes et les opérateurs membres du réseau de l’entreprise.

De même, de nouvelles entreprises, Pedigre Network, Goldkeys et Sproxil, ont lancé des solutions informatiques qui facilitent l’authentification des médicaments grâce à des codes cryptés. Les laboratoires pharmaceutiques homologués font figurer sur les boîtes de leurs emballages un code crypté qui n’est détecté que par les applications développées par ces entreprises.

En outre, tous les grands laboratoires pharmaceutiques contribuent à la lutte contre les faux médicaments en Afrique en dépêchant des équipes, des contrôleurs et des équipements nécessaires à la lutte contre la falsification des médicaments. Ils agissent aussi sur le sprix en offrant des médicaments à des prix bas pour faciliter l'accès aux populations pauvres.

Reste qu’à l’instar du trafic de drogue, la rentabilité de ce trafic est telle que les falsificateurs trouvent toujours les moyens de contourne les obstacles qui se dressent devant eux.

Par Moussa Diop
Le 17/03/2018 à 19h08, mis à jour le 17/03/2018 à 19h09