A la mi-mars dernier, Guillaume Soro, le président du Parlement ivoirien, recevait à son domicile d’Abidjan les anciens dignitaires de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), le puissant syndicat estudiantin qui a joué un rôle important dans l’avènement du multipartisme au début des années 1990. De cette rencontre était née une sorte d’union sacrée entre ces ex-tribuns qui avaient l’art d’haranguer les foules sur les campus ivoiriens.
«Il y a un élan de solidarité entre les Fescistes. Il nous fallait faire le point avec lui (Soro Guillaume, ndlr) pour qu’il nous donne son avis sur les perspectives et, qu’ensemble, nous puissions concevoir un projet de regroupement», avait alors expliqué Martial Aipeaud, premier secrétaire général et membre fondateur de la FESCI, cité par le site Koaci.
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CPI où est incarcérée l’autre grande et ancienne figure du mouvement estudiantin, Charles Blé Goudé, bras droit de Laurent Gbagbo avec qui il doit répondre des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité à la suite de la crise postélectorale de 2010. Blé Goudé était l’un des piliers du régime de Gbagbo qui faisait alors face à une rébellion armée, menée par un certain Soro Guillaume. De là était née une certaine inimitié entre les deux ex-camarades.
Et alors que l’idée d’une telle visite soulevait déjà des incompréhensions et invectives de la part des partisans des célèbres pensionnaires de la prison de Scheveningen, à la Haye, Blé Goudé indiquait plutôt y être favorable. Dans une déclaration publiée par la presse ivoirienne, le 17 mai courant, l’ex-leader des «Jeunes patriotes» confiait sa «disponibilité à recevoir la délégation de mes anciens camarades de lutte estudiantine».
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«S’ils viennent apporter leur soutien fraternel à un des leurs embastillé, je saluerai ce geste de solidarité à sa juste valeur. Si leur visite a pour objectif de m’exposer le projet dont ils sont porteurs, projet dont je ne sais pour l’instant rien, sans préjugés, je les écouterai sans m’enfermer dans une nasse d’ego et de rigidité», a-t-il laissé entendre. Des propos pleins de sous-entendus.
Cette visite, dont la date n’a pas encore été précisée, devrait donc être un premier point de contact officiel entre les deux ex-barons de la FESCI qui furent un temps très proches. Blé Goudé était en effet l’un des proches lieutenants de Soro Guillaume du temps où ce dernier dirigeait la FESCI, avant de lui succéder. Mais au-delà ce serait également un premier contact entre le président du parlement et Laurent Gbagbo qui fut un temps son «père spirituel» dans la lutte contre le parti unique. Soro Guillaume n’avait-il pas affirmé être disposé à aller «même» rencontrer Laurent Gbagbo dans le cadre de la réconciliation nationale?
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Cette évolution dans le paysage politique ivoirien vient en écho à une certaine rumeur qui voudrait que Soro Guillaume n’aurait pas été favorable au transfèrement de son ex-camarade Charles Blé Goudé à la CPI.
Une manœuvre pour 2020 ?
A deux ans de la présidentielle, tous les scénarios sont envisageables. Alors que le président du parlement rechigne à démentir formellement tout désintérêt pour cette échéance, ses faits et gestes sont scrutés à la loupe.
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Ses appels incessants à la réconciliation et à la libération des prisonniers liés à la crise post-électorale, ses contacts réguliers avec des proches de Laurent Gbagbo, et cette fois sa tentative de rapprochement, par dignitaires de la FESCI interposés, avec Blé Goudé, laissent penser à une manœuvre visant à s’attirer les faveurs des partisans de l’ancien régime.
Considéré comme l’héritier politique de Laurent Gbagbo, Blé Goudé, qui reste très populaire dans les rangs de l’opposition (et qui a créé un parti politique), pourrait donc trouver-là le moyen d’une alliance afin de peser sur l’échiquier politique, en attendant l’issue d’un procès qui traîne en longueur et dont l’aboutissement, selon certaines langues, ne devrait se faire qu’après 2020.