Al Baghdadi au Sahel: Alger et Paris prennent la rumeur au sérieux

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Le 20/02/2018 à 17h42, mis à jour le 20/02/2018 à 17h45

La France, l'Algérie, mais aussi les pays du G5 Sahel semblent avoir redoublé de vigilance dans la zone sahélienne depuis que la rumeur de la présence d'Al Baghdadi s'est propagée.

A Kidal et dans les environs, les proches défilent toujours dans les maisons endeuillées pour présenter leurs condoléances aux familles des djihadistes tués, il y a tout juste une semaine, par l'armée française. Ici, à Tinzawatène ou à Inaghalawass, les liens de parenté scellés par la rudesse des regs et des ergs ne peuvent être défaits par l'appartenance à des groupes de mafaiteurs, fussent-ils djihadistes. Alors dès la fin de l'intervention française, tout le monde savait quelle famille avait perdu tel ou tel fils ou quel autre avait été fait prisonnier. Tout se sait, mais personne ne pipe mot. 

En effet, il y a une semaine, mercredi 14 février, à l'aube, les soldats de la force française Barkhane ont mené une opération d'une rare intensité à la frontière entre le Mali et l'Algérie dans la région de Kidal, à Tinzawatène. C'est là, à quelques centaines de mètres de l'Algérie, qu'une dizaine de terroristes ont été tués et au moins autant ont été faits prisonniers. Parmi les personnes neutralisées figurait un fidèle lieutenant d'Iyad Ag Ghali, en l'occurrence Moussa Ag Wanasnat. 

Ag Wanasnat, un colonel des Forces armées maliennes (FAMA), avait déserté en 2006 pour rejoindre la rébellion. Il occupait une position importante au sein de l'organisation des Ansar Dine, le plus meurtrier mouvement terroriste du Sahel. 

Deux raisons expliquent que l'armée française se soit autant rapprochée de la frontière algérienne. La première, c'est que les forces présentes au Mali, à savoir les FAMA, Barkhane et la Munisma, prennent au sérieux la rumeur qui veut qu'Abu Bakr Al-Baghdadi soit présent au Sahel, quelque part entre le nord du Tchad ou du Niger et le sud de la Libye. L'information, faut-il le rappeler, avait été donnée par le tabloïde anglais The Sun qui faisait intervenir un ex-leader de Jamaa Al-Islamiyyah. 

Et de toute manière, même si Al-Baghdadi n'est pas dans la zone, le retour des 6.000 combattants djihadistes qui ont été défaits en Irak et en Syrie est à craindre. 

L'autre raison et non des moindres, c'est que depuis la mise en place de la force du G5 Sahel, Iyad Ag Ghali est à la tête d'une nouvelle coalition de groupes terroristes et qu'il a décidé d'intensifier ses actions dans le nord et le centre du Mali. Ainsi, le 24 janvier dernier, un attentat tuait 24 civils au centre du Mali, près de la frontière avec le Burkina Faso. Deux jours plus tard, c'est l'armée qui faisait les frais de cette recrudescence de violence de la part des djihadistes. Elle perdait deux de ses soldats en repoussant une attaque. 

Le moral des forces de sécurité et de défense est fortement entamé, tant les attaques sont nombreuses. En témoignent plusieurs évènements récents, comme les manifestations des femmes de militaires dont les maris avaient été affectés dans le nord. On a également assisté à la désertion d'un groupe d'une trentaine de gendarmes qui ont plié bagages pour se rendre à Bamako, refusant de rester dans le nord. De même, un soldat a publié une vidéo dans laquelle il critique sa hiérarchie et la gouvernance du pays. Il fallait donc que les forces qui luttent contre les terroristes donnent un signal fort en remportant des victoires et en se montrant plus offensives. L'attaque de mercredi dernier s’inscrit dans ce contexte. Du côté de l'Algérie, on préfère afficher une certaine sérénité. 

Il faut dire que Barkhane vient de pallier l'une de ses plus grandes faiblesses, en l'occurrence l'absence d'hélicoptères de manœuvre de type Chinook, capable de transporter à la fois troupe et matériel lourd sur de longues distances. Or, en janvier dernier, l'armée britannique a mis à la disposition des forces en présence trois hélicoptères CH47D Chinook. En plus de cela, la Grande-Bretagne a consenti une aide de 50 millions de livres pour les pays du G5 Sahel. 

En Algérie, la menace d'instabilité à la frontière n'a jamais été prise à la légère. Certes, il y a une sorte de pacte tacite de non agression entre l'Armée nationale populaire et les organisations terroristes, que l'on soupçonne d'avoir leur base arrière en Algérie. Alger, qui se montre intraitable contre les terroristes qui s'aventurent sur son territoire, a pourtant décidé de les laisser faire tant que leurs exactions se déroulent hors de l'Algérie. 

Il n'empêche que le général Gaïd Salah, chef d'état major général des armées, a jugé bon de lancer un message aux djihadistes dès que le bruit de la présence d'Abu Bakr Al-Baghdadi s'est propagé. En effet, une semaine avant l'intervention de Barkhane, il a dirigé des manœuvres dans la sixième zone militaire de Tamanrasset. Son message appelait à redoubler d'effort pour une "surveillance rigoureuse des frontières" n'a laissé planer aucune ambiguïté sur ses craintes. 

Aujourd'hui, l'armée malienne et le G5 Sahel ont aussi adopté une posture offensive. L'objetcif est de tout faire pour que la "peur change de camp", affirme-t-on au sein du commandement de la force. Le G5 Sahel a mené deux grandes opérations dans la zone des trois frontières, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Il s'agit d'uue sorte de mise en jambe avant la vraie épreuve, mais de telles interventions devraient désormais se multiplier. 

Néanmoins, les interventions de Barkhane, du G5 Sahel et des FAMA ne réussiront que si les populations collaborent et que dans le domaine du renseignement, les échanges avec les Algériens sont réguliers. Sauf que pour l'heure, les terroristes continuent de se fondre dans les populations du nord et du centre du Mali, quand ils ne se replient pas vers l'Algérie après avoir troqué leurs habits de djihadistes contre des froques de simples nomades. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 20/02/2018 à 17h42, mis à jour le 20/02/2018 à 17h45