Afrique: l’Union européenne souhaite contrer la Chine avec une ”Nouvelle alliance”, mais...

Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne.

Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne. . DR

Le 16/09/2018 à 13h39, mis à jour le 16/09/2018 à 13h55

Après le Forum économique sino-africain (FCSA) et la promesse de 60 milliards de dollars de la Chine, l’Union européenne réagit et propose une "Nouvelle alliance" à l’Afrique. Toutefois, les premières propositions sont loin de celles du "Plan d’action de Beijing du FCSA (2019-2021)". Décryptage.

«L’Afrique n’a pas besoin de charité, elle a besoin de partenariats justes et équitables. Nous proposons une nouvelle alliance pour l’investissement durable et l’emploi entre l’Europe et l’Afrique, qui devrait permettre de créer jusqu’à 10 millions d’emplois en Afrique, au cours des cinq prochaines années seulement.

Je pense que nous devrions développer les nombreux accords commerciaux UE-Afrique en un accord de libre-échange de continent à continent, en tant que partenariat économique entre égaux», dixit Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, lors d’une allocution prononcée le mercredi 12 septembre 2018 devant le Parlement de Strasbourg sur l’Etat de l’Union. Un discours qui sonne à bien des égards comme une réponse au succès de 3e Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA) qui s’est tenu à Pékin les 3 et 4 septembre courant.

 

Face aux 60 milliards de dollars proposés par le président chinois à l’Afrique et la création de la China Africa inter-Bank association (CAIBA), pilotée par la China Development Bank (CDB) et comptant 16 banques africaines comme membres fondateurs, il est clair que l’Afrique se range de plus en plus du côté de la Chine.

Cette situation ne pouvait pas laisser l’Union européenne insensible. Elle, dont les puissances -France, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne et Portugal- ont colonisé le continent et ont tissé des relations qui perdurent depuis des décennies, et qui perd du terrain au profit de l’Empire du milieu, devenu en l’espace d’une décennie le premier partenaire commercial, le premier investisseur et le premier prêteur du continent africain.

Face à cette perte de vitesse de l’Europe au moment où le continent commence à montrer des signes de dynamisme, l’Union européenne ne pouvait rester inactive face à l’ogre chinois.

 

Ainsi, la sortie de Jean-Claude Juncker devant le Parlement de Strasbourg, appelant à l’événement d’une nouvelle étape dans les relations entre l’Europe et le continent africain, ressemble fort à une réponse aux ambitions affichées de la Chine. En soulignant que dans un monde en mutation, où «les alliés d’hier ne seront peut-être plus les alliés de demain», Junker explique clairement la crainte de l’Europe de perdre ce partenaire qu’est l’Afrique.

Allant dans le même sens, Federica Mogherini, vice-président de l’Union européenne, a expliqué que «l’Europe et l’Afrique partagent de nombreux intérêts. Nous voulons tous les deux une Afrique plus forte, des emplois de qualité pour les jeunes, un meilleur climat des affaires et la paix et la sécurité pour tous».

Partant, à côté des 8 initiatives du président chinois à l’adresse de l’Afrique, le président de la Commission européenne a proposé une nouvelle «Alliance Afrique-Europe pour des investissements et des emplois durables».

Sans rentrer dans les détails, il a expliqué que le but de cette alliance vise, au niveau économique, à stimuler les investissements stratégiques européens, à rehausser les échanges commerciaux avec le continent, à renforcer le secteur privé africain et à exploiter pleinement le potentiel que représente la création de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca).

Ainsi, Juncker souhaite faire évoluer les nombreux accords commerciaux entre les pays africains et l’Union européenne en plaidant pour un accord de libre-échange de continent à continent, en tenant compte de la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), au lieu des Accords de partenariat économique, les fameux APE, critiqués légitimement un peu partout au niveau du continent africain où on craint que l’ouverture n’entraine la faillite des filières entières, notamment au niveau agricoles.

De même, cette nouvelle alliance se fixe comme objectif de créer des emplois et d‘investir dans l’éducation et les compétences. Sur ce point, avec le soutien de l’Union européenne, 35.000 étudiants et universitaires africains bénéficieront du programme Erasmus d’ici 2020. En 2027, ce sont 70.000 autres qui bénéficieront de ce programme, soit un total de 105.000 bénéficiaires sur 10 ans (2018-2027). De même, dans le cadre du développement des compétences, 700.000 africains bénéficieront d’une formation professionnelle.

Par ailleurs, grâce aux investissements de l’Union européenne dans le secteur des énergies renouvelables, la capacité de production du continent sera augmentée de 5 GW et bénéficiera à 30 millions d’Africains et aux entreprises du continent.

Parallèlement, au niveau des infrastructures qui font défaut en Afrique et qui handicapent son développement, l’Union européenne compte contribuer à la réalisation d’infrastructures de transport en Afrique.

Ainsi, selon Jean-Claude Juncker, avec cette nouvelle alliance, l’Union européenne souhaite contribuer au développement de l’Afrique grâce à des investissements qui vont générer 10 millions d’emplois sur 5 ans. Parmi ceux-ci, 3,2 millions d’emplois seront créés dans le cadre du plan d’investissement externe axé sur les petites et moyennes entreprises. L’accent est mis sur la création d’emplois, une manière intéressante, mais non avouée aussi, celle d’atténuer la pression de l’immigration des jeunes africains vers l’Europe.

Pour concrétiser cette «Nouvelle alliance», le président de la Commission européenne a souligné que des consultations et un dialogue avec les partenaires africains seront organisés dans les mois à venir. Ceux-ci permettront de défini les priorités et les mesures complémentaires à entreprendre ensemble dans le cadre de ce nouveau partenariat.

Concrètement, ces objectifs rappellent fort les 8 initiatives du président chinois Xi Jinping présentées en grande pompe devant les chefs d’Etat et de gouvernement des pays africains lors du forum sur la coopération sino-africaine (FCSA), encore appelé Focac, de Pékin.

La déclaration de Beijing, «Vers une communauté de destin Chine-Afrique encore plus forte» et le «Plan d’action de Beijing du FCSA (2019-2021)» semblent de loin plus ambitieux pour le développement de l’Afrique que les propositions de Juncker. En effet, la Chine s’est montrée plus généreuse avec une enveloppe de 60 milliards de dollars (52 milliards d’euros) pour les 3 années à venir, dont 15 milliards de dollars d’aides sans contrepartie, de prêts sans intérêts et de crédits préférentiel, une ligne de crédit de 20 milliards de dollars, le soutien à la création d’un fonds spécial de 10 milliards de dollars pour le financement du développement et d'un fonds spécial de 5 milliards de dollars pour le financement des importations en provenance de l’Afrique. Enfin, 10 milliards servant à encourager les entreprises chinoises en vue d'investir en Afrique durant les 3 années à venir.

Par Moussa Diop
Le 16/09/2018 à 13h39, mis à jour le 16/09/2018 à 13h55