Phosphates et engrais: voici pourquoi les cours explosent, qui en profite et quel impact pour la production agricole?

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Le 26/10/2021 à 15h58, mis à jour le 26/10/2021 à 19h46

Les cours du phosphate et des engrais flambent. Plusieurs facteurs expliquent ces fortes hausses des cours qui risquent d’impacter négativement la production agricole mondiale. Le leader mondial des phosphates, le groupe marocain l’OCP, devrait pleinement tirer profit de cette embellie.

A l’instar des prix du pétrole et de gaz et de certains minerais, ceux du phosphate et des engrais connaissent eux aussi une flambée inquiétante. Comme en atteste les évolutions des cours de la roche de phosphate, du DAP (Di-ammonique phosphate), le phosphate d’ammonium, le phosphate le plus utilisé dans le monde, du TSP (super phosphate triple) et de l’urée qui ont tous connu des hausses significatives depuis fin 2020, selon les dernières données du Commodity Markets Outlook de la Banque mondiale.

Ainsi, le prix de la roche de phosphate qui était en moyenne de 76,1 dollars la tonne métrique ($/TM) en 2020 (81,9 $/TM au 4e trimestre 2020), s’est établi à 147,5 $/TM à fin septembre 2021, affichant une hausse de 80%. Si les prix de cette roche ont fortement augmenté, la hausse a été encore plus importante pour les engrais. Ainsi, le phosphate d’ammonium a vu son cours passer de 312,4 dollars/TM (368,4 $/TM au 4e trimestre 2020) à 643,8 $/TM à fin septembre 2021, soit une augmentation de 106,08% (et plus de 74,75% par rapport au 4e trimestre 2020). Autrement dit, le prix de l’engrais le plus utilisé dans le monde a plus que doublé.

Idem pour le super phosphate triple (TSP) dont le cours moyen en 2020 était de 265 $/TM (300,8 $/TM au 4e trimestre 2020) avant de s’établir à 573,8 $/TM à fin septembre 2021, soit une hausse de 116,53% (+91,27% par rapport au cours du 4e trimestre 2020).

Le cours de l’urée a connu la même évolution passant de 229,1 $/TM (245 $/TM au 4e trimestre 2020) à 458 $/TM à fin septembre 2021, soit une hausse de 99,91% (+86,94% par rapport au cours du 4e trimestre 2020).

Les cours du phosphate et des engrais ont donc explosé au cours des 9 premiers mois de l’année en cours et le trend haussier est loin de s’estomper, les facteurs à l’origine de ces hausses exceptionnelles ne s'étant pas dissipés.

Phosphates et engrais Unité 2019 2020 Q4
2020
Q1
2021
Q2
2021
Q3
2021
Aug
2021
Sep
2021
DAP $/mt 306,4 312,4 368,4 494,8 574,3 620,0 603,1 643,8
Phosphate rock $/mt 88,0 76,1 81,9 89,8 107,5 136,5 136,9 147,5
Potassium chloride $/mt 255,5 217,8 202,5 202,5 202,5 214,8 221,0 221,0
TSP $/mt 294,5 265,0 300,8 416,5 518,5 561,3 555,0 573,8
Urea, E. Europe $/mt 245,3 229,1 245,0 317,6 351,0 435,7 446,9 418,8
Source: Commodity Markets Outlook, Banque Mondiale, Oct 2021.

En effet, l’une des principales raisons de ces hausses est liée à la flambée des intrants utilisés pour la production des engrais, à savoir l’ammoniac et le gaz naturel. Or, les cours du gaz naturel et du pétrole ont fortement augmenté depuis quelques mois. Ainsi, le cours du gaz naturel est ainsi passé de 2,42 dollars de British thermal units (BTU), à fin 2020, à 5,90 dollars BTU à la date du 26 octobre 2021, soit une forte hausse de 143,8%. Tout comme l’ammoniac sachant que le gaz naturel représente environ 50% du prix de l’ammonitrate et 80% de celui de l’ammoniac. Le cours de l’ammoniac anhydre est ainsi passé de 470 dollars/tonne courte au début de l’année à 970 dollars/tonne courte en octobre 2021, soit une augmentation de plus de 106%.

A cela s’ajoute la hausse de la facture d’électricité consécutive à la flambée du baril de pétrole qui est passé d’un cours du baril de Brent de la mer du Nord de 51,70 dollars à fin 2020 à 86,14 dollars ce mardi 26 octobre, soit + 66,61% depuis le début de l’année, renchérissant du coup la facture d’électricité des producteurs d’engrais.

En conséquence, les producteurs ne pouvaient que répercuter ces hausses sur le prix des engrais.

Ensuite, cette hausse des cours du phosphate et des engrais s’explique également par la forte demande émanant essentiellement des grands producteurs mondiaux de produits agricoles dont particulièrement les Etats-Unis et le Brésil où les engrais servent, entre autres, à la production du maïs et du soja.

En outre, les restrictions à l’exportation opérées par la Chine sur les engrais à cause de la baisse de la production chinoise ont contribué à cette flambée des cours des engrais sachant que la Chine pèse à hauteur de 30% de l’offre mondial du DAP, le phosphate d’ammonium. La baisse de la production chinoise est consécutive aux hausses des cours du gaz, de l’ammoniac et de la baisse de la production du charbon suite à l’inondation des puits d’extraction du pays. 

Enfin, les cours subissent aussi les effets du coût du fret mondial en hausse à cause notamment de l’augmentation du coût du fioul en corrélation avec celui du pétrole.

Reste que cette forte hausse des prix des phosphates et des engrais constitue un danger pour la production alimentaire mondiale.

En effet, le doublement du prix des engrais dans un contexte économique non favorable risque d’entraîner une forte baisse de la consommation de ces intrants, notamment dans les pays en développement et donc d'induire une baisse de la production agricole dans certains pays.

D’ailleurs, la forte hausse de ces intrants et du coût de l’électricité ont poussé certains producteurs à réduire leur production. C’est le cas de la Chine, premier producteur mondial qui fait face à l’inondation de ces mines de charbon qui assurent une partie non négligeable de sa production d’électricité. Une situation qui pourrait renforcer les tensions sur les prix des engrais, impacter négativement la production agricole et entraîner une flambée des prix des produits alimentaires.

Une chose est sûre, cette forte hausse des cours du phosphate et des engrais fait le bonheur de quelques rares producteurs africains. C’est le cas particulièrement du Maroc, premier exportateur de phosphate brut, d’acide phosphorique et d’engrais phosphatés au monde et second producteur mondial de phosphate roche derrière la Chine et devant les Etats-Unis, selon les données de 2019 de US Geological Survey on phosphate rock, avec une production de 33 millions de tonnes en 2018.

D'ailleurs, pour les 6 premiers mis de 2021, les résultats financiers semestriels de l'OCP affichent un chiffre d'affaires en hausse de 19% à 32,5 milliards de dirhams, par rapport à la même période de l'exercice précédent, grâce aux performances réalisées sur les trois segments: roche, engrais et acide phosphorique. 

Derrière le Maroc, les autres producteurs significatifs africains sont l’Egypte (4,6 millions de tonnes), la Tunisie (3,3 millions de tonnes), l’Afrique du Sud (2,1 millions de tonnes), le Sénégal (1,5 million de tonnes) et l’Algérie (1,3 million de tonnes). L'Egypte jouit aussi de la disponibilité du gaz et de l'ammoniac pour produire des engrais de manière très compétitives. 

En clair, au niveau du continent, le principal bénéficiaire reste le Maroc. Si l’Office chérifienne des phosphates (OCP) va pleinement tiré profit de ces hausses pour la roche phosphate dont il est le premier exportateur mondial, pour la production des engrais, ce géant mondial devrait subir le coût de la forte hausse des cours du gaz et de l’ammoniac dont il dépend des importations. Toutefois, l'efficacité opérationnelle a permis au groupe de neutraliser l'augmentation des coûts du souffre et de l'ammoniac et a permis au groupe d'afficher un Ebitda (excédent brut d'exploitation) en hausse de 48% à fin juin 2021 à 12,5 milliards de dirhams.

Au niveau mondial, les grands producteurs mondiaux de phosphates sont la Chine (140 millions de tonnes), le Maroc (33 millions de tonnes), les Etats-Unis (27 millions de tonnes), la Russie (13 millions de tonnes) et la Jordanie (8,8 millions de donnes). En 2018, la production mondiale avait atteint 137,6 millions de tonnes. La Chine et le Maroc assurent les deux tiers de la production mondiale. Si la production chinoise est destinée grandement à la consommation intérieure, celle du Maroc est essentiellement dédiée à l’exportation.

En termes de réserves, c’est le Maroc qui domine largement avec 50 milliards de tonnes, soit plus de 71,4% des réserves mondiales de phosphates prouvées, très largement devant la Chine (3,2 milliards de tonnes), l’Algérie (2,2 milliards de tonnes), la Syrie (1,8 milliard de tonnes) et le Brésil (1,7 milliard de tonnes).

Par Moussa Diop
Le 26/10/2021 à 15h58, mis à jour le 26/10/2021 à 19h46