L’Algérie en rêve depuis plusieurs années. Outre le fait que ce méga-projet va permettre au pays de multiplier par 6 sa production de phosphate actuelle, d’exporter jusqu’à 3 millions de tonnes d’engrais et contribuer à sortir l’Algérie du tout pétrole en exploitant son potentiel minier, c’est le doux rêve de concurrencer le géant mondial des phosphates, le groupe marocain Office chérifienne des phosphates (OCP), qui fait jaser les dirigeants algériens.
C’est dans cette optique qu’en juin 2020 le président Abdelmadjid Tebboune a remis au goût du jour le Projet phosphate intégré (PPI) de Bled El-Hedba (Tébessa) de son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika. Il avait alors annoncé que ce méga-projet intégré d’exploitation et de transformation du phosphate à l’est du pays allait être relancé «très prochainement». Le projet englobe 5 régions du pays et comprend trois complexes à Souk Ahras, Tébéssa et Skikda, une station de dessalement d’eau de mer à Guerbès pour alimenter le projet (El Tarf) et un chemin de fer reliant les wilayas de Tébessa et Annaba et un port minéralier pour exporter la production à Annaba.
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Seulement, une année après l’engagement du président Tebboune, on est loin de cet optimisme. Et ce n’est pas une surprise. En effet, ce projet est annoncé depuis des années par les dirigeants algériens qui souhaitent faire de l’Algérie un des principaux fournisseurs mondiaux d’engrais.
En 2018, déjà, un mémorandum avait été signé entre les entreprises algériennes Asmidal, filiale du groupe Sonatrach, et Manadjim El Djazair (Manal) et des entreprises et fonds chinois (Citic, Wengfu, le Fonds de la route de la soie, le Fonds sino-africain pour le développement…). Les entreprises algériennes devant détenir 51% du capital du projet, les 49% restant revenant aux Chinois.
Il était alors prévu que les travaux démarrent en 2019 et que la production atteigne les 10 millions de tonnes de phosphate en 2022 pour faire de l’Algérie le 5e producteur mondial de phosphate. Le complexe devait aussi valoriser la ressource naturelle à travers la production d'engrais, d’ammoniac, de dioxyde silicium et autres produits.
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Selon toujours les projections des autorités, une fois en exploitation, le méga-projet devait garantir des entrées en devises à hauteur de 2 milliard de dollars par an.
Seulement, le Hirak est passé par là emportant l’ancien président Bouteflika et son 5e mandat. Le projet a donc été mis en veilleuse. Et en juin 2020, le ministre de l’Industrie et des Mines de l’époque, Ferhat Aït Ali, soulignait, au sujet du méga-projet, que «pour l’instant, tout est à l’étude. Tant que nous n’avons rien signé, nous n’avons rien à dire. Rien n’est sûr, des deux côtés d’ailleurs».
Face au statu quo, le ministre de l’Energie, Mohamed Arkab, vient de donner un nouveau coup au méga-projet en annonçant un nouvel appel d’offre international pour sa réalisation . En clair, c’est le retour à la case de départ qui signe la fin du mémorandum signé en 2018 entre la Sonatrach et China international trust and investment corporation (Citic). Du coup, l’entreprise chinoise qui avait été retenue est appelée à concourir de nouveau.
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Et cette fois-ci, ce sont encore trois autres entreprises chinoises qui concourent à ses côtés. Après tout, il n’y a que les entreprises chinoises qui s’intéressent, dans le contexte actuel, aux grands projets réalisés en Algérie. Outre la situation politique marquée depuis plus de 3 ans par une crise aiguë et les manifestations populaires, l’environnement des affaires, et notamment la règle du 51/49% accordant la majorité du capital d’un projet aux actionnaires algériens (Etat et/ou entreprises publiques et privées) font que de nombreuses firmes rechignent à investir en Algérie, hormis les entreprises étatiques chinoises.
En outre, il faut ajouter que ce projet nécessite des investissements annexes colossaux qui font défaut aujourd’hui à l’Algérie. En effet, le méga-projet nécessite un investissement de 10 milliards de dollars. C’est l’équivalent de plus de 30% des réserves en devises actuelles de l’Algérie. Or, l’Algérie n’ayant plus de ressources pour financer un tel projet, à cause de la crise financière qu’elle traverse depuis 2014 dans le sillage de la chute du cours du baril de pétrole, elle compte sur les partenaires solides financièrement pour apporter les capitaux nécessaires à sa réalisation. Et dans ce cas précis, sachant que ce sont les banques chinoises qui vont apporter 80% du financement du méga-projet, sa réalisation ne pouvait revenir inéluctablement qu'aux entreprises chinoises.
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Pourquoi alors lancer un nouvel appel d’offre international? Sachant que le projet va revenir aux entreprises chinoises, c’est une occasion pour les nouvelles autorités algériennes d’effacer les traces de ceux qui ont été à l’origine de la signature du mémorandum. En effet, l’accord entre Citic et la Sonatrach a été signé par l’ex-PDG de Sonatrach, Abdemoumen ould Kaddour, qui devrait être extradé prochainement en Algérie pour y être jugé pour corruption et dilapidation de deniers publics en lien avec l’achat de la raffinerie d’Augusta en Italie, et le PDG de l’entreprise chinoise Citic. De plus, cette entreprise chinoise a été introduite par les frères Kouninef qui sont actuellement en prison dans le cadre des opérations anti-corruption initiées par les dirigeants algériens contre les oligarques proches de l’ancien régime de Bouteflika.
Dans tous les cas, cette procédure va retarder encore l’exécution de ce projet qui pourrait contribuer à la diversification de l’économie algérienne au moment où on commence à s’inquiéter de l’épuisement des hydrocarbures.
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Il faut souligner qu’au-delà des effets d’annonces, ce projet ne peut en aucun cas concurrencer le mastodonte marocain, le groupe OCP. L’Algérie qui dispose des réserves en phosphates estimées à 2,2 milliards de tonnes est loin de pouvoir rivaliser avec le Maroc qui dispose des premières réserves mondiales de phosphates estimées à 50 milliards de tonnes, soit plus de 72% des réserves mondiales. De plus, le géant marocain contrôle près de 50% des parts du marché mondial des phosphates, 45% de l’acide phosphorique et plus de 20% des engrais produits dans le monde, selon les données de 2018. C’est dire si le méga-projet algérien sera au nain face à l’OCP, s’il arrive bien évidemment à être concrétisé.
Cela est aussi valable pour un autre méga-projet, le port d’El Hamdania sensé faire de l’ombre au port marocain de Tanger Med. Cet autre projet de Bouteflika, annoncé en 2015 et relancé par Tebboune, de 3,6 milliards de dollars avec un tirant d’eau de 20 mètres et ses 23 quais d’une capacité de traitement de 6,5 millions de tonnes est toujours dans les cartons.