Algérie: après les phosphates, Tebboune relance le méga-port d’El Hamdania

La maquette du projet du méga-port d’El Hamdania.

La maquette du projet du méga-port d’El Hamdania.. DR

Le 29/06/2020 à 15h49, mis à jour le 30/06/2020 à 14h02

Le président Tebboune vient de demander la relance du port géant d’El Hamdania, à Cherchell, pour «désenclaver les pays africains». Mais réactiver les méga-projets de l’ancien président Bouteflika alors que le pays est englué dans une crise financière aiguë laisse les observateurs surpris.

Les succès des projets structurants du Maroc inspirent fortement le président algérien et son prédécesseur. Ainsi, après avoir tancé Renault pour n’avoir pas réalisé en Algérie une unité de montage automobile identique à celle installée à Tanger, Abdelmadjid Tebboune est en train de remettre au goût du jour les méga-projets de l’ère Bouteflika. Ceux-ci dorment dans les cartons depuis plusieurs années faute de financement et de vision stratégique. Ce regain d’activité semble surtout motivé par l’idée de concurrencer les réalisations du Royaume.

Après avoir annoncé la reprise du gigantesque projet intégré d’exploitation et de transformation des phosphates dans l’Est du pays, qui devrait être relancé «très prochainement», selon les autorités algériennes, le président Tebboune a donné ses instructions, lors du Conseil des ministres qui s’est tenu le dimanche 28 juin, pour que des contacts soient renoués avec le partenaire chinois afin de redémarrer l’étude du projet du port d’El Hamdania, dans la commune de Cherchell.

Mieux, il a donné trois mois à son Premier ministre afin que ce projet soit présenté rapidement en Conseil de gouvernement.

Pour rappel, c’est en décembre 2015 que l’ancien président Abdelaziz Bouteflika avait chargé son gouvernement de la réalisation d’un immense port en eau profonde. Le cadre devait être celui d’un partenariat selon la règle dite 51/49, entre des entreprises publiques et privées algériennes et un partenaire étranger de renom.

D’un coût de 3,6 milliards de dollars, avec un tirant d’eau (hauteur de la partie immergée d’un bateau) de 20 mètres, ce port devait comprendre 23 quais d’une capacité de traitement de 6,5 millions de conteneurs et de 25,7 millions de tonnes/an de marchandises générales.

Ce méga-port devrait être adossé à deux sites industriels totalisant 2.000 hectares et relié aux réseaux ferroviaires et autoroutiers.

En clair, c’est un projet quasi identique à la plateforme portuaire marocaine de Tanger-Med que le gouvernement de Bouteflika voulait réaliser en Algérie. Et Teboune le réactive en soulignant que «l’objectif stratégique de ce port étant le désenclavement des pays africains sans accès maritimes avec ce que cela implique en termes d’impulsion de la vie économique et de création d’emplois».

Toutefois, ces annonces interviennent dans un contexte particulier, marqué par la crise financière aiguë que traverse l’Algérie avec la pandémie de Covid-19 et de la chute des cours du baril, qui en aggrave les conséquences sur l’économie algérienne. Celle-ci repose en effet quasi uniquement sur la rente pétrolière, qui génère 95% des recettes en devises du pays et 60% de ses ressources budgétaires.

Or, ces projets pharaoniques que souhaite redémarrer Tebboune dans le contexte actuel sont très capitalistiques. Le financement global du projet intégré des phosphates, en tenant compte de la réalisation d’un quai phosphatier à Annaba et d’une unité de dessalement de l’eau de mer, nécessiterait une enveloppe de financement avoisinant les 10 milliards de dollars. Celui du port d’El Hamdania de 3,6 milliards de dollars, selon l’estimation de 2015.

Du coup, la question que tout le monde se pose est de savoir comment le gouvernement de Tebboune compte-t-il financer ces méga-projets, alors que les recettes des hydrocarbures sont mises à mal par le niveau très bas du cours du baril.

A cette interrogation, s’ajoute le fait que l’Algérie refuse catégoriquement à recourir à l’endettement extérieur pour faire face à ses financements. D’ailleurs, le tout nouveau ministre des Finances, Aymen Benabderahman, a martelé que «l’Algérie n’aura pas recours à l’endettement extérieur et agira de façon à sauvegarder la souveraineté de sa décision économique».

Pourtant, les recettes du nouvel argentier algérien, qui vise une gestion rigoureuse des finances et la maîtrise des dépenses, ne suffiront pas à faire les économies nécessaires aux financements de ces chantiers, le pays faisant face à une baisse drastique de ses réserves en devises, liée à celle du cours du pétrole. Des réserves qui devraient tomber autour de 30 milliards de dollars, contre 194 milliards en 2014, réduisant encore plus les marges de manœuvre du gouvernement.

En conséquence, les reprises annoncées de ces méga-projets très capitalistiques ressemblent plutôt à des effets d’annonce de la part d’un président en manque de popularité et de légitimité.

Par Karim Zeidane
Le 29/06/2020 à 15h49, mis à jour le 30/06/2020 à 14h02