Vidéo. Atlantic Dialogues: quels régulateurs pour éviter les crises commerciales et financières?

DR

Le 17/12/2019 à 16h50, mis à jour le 17/12/2019 à 17h07

VidéoVa t-on vers une crise du système financier mondial? Est-ce le début de la fin du système commercial régulé? Les experts réunis en marge des Atlantic Dialogues ont insisté sur la nécessité d’entreprendre des réformes en profondeur réduire l'impact des crises ou les prévenir.

Va-t-on vers une crise financière? Le système commercial régulé survivra-t-il à la guerre que livrent les Etats-Unis à la Chine? Les experts et universitaires ont apporté leurs points de vue à ces questions lors de la 8è édition des Atlantic Dialogues organisés du 12 au 14 décembre à Marrakech par le think tank Policy Center for the New South.

Le système commercial mondial, qui est fondé sur des régles régies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), bat de l’aile.

Pour certains pays, comme les Etats-Unis de Donald Trump, ces règles ne répondent plus efficacement à la nouvelle donne mondiale. 

Du coup, depuis deux ans, l’administration Trump entrave les nominations des 7 membres qui statuent sur les différends commerciaux. Actuellement, le tribunal a besoin d’un minimum de 3 juges pour fonctionner. Or, le mandat de 2 des trois membres restants expire ce mardi 17 décembre. Partant, l’OMC ne peut plus être l’arbitre des différends commerciaux internationaux.

Pire, les Etats-Unis menacent d’aggraver la situation en bloquant le budget 2020.

Il faut dire que les règle de l'OMC doivent aussi évoluer. En effet, la Chine, la Corée du Sud et l'Inde sont toujours considérées comme des pays en développement et bénéficient du coup des règles commerciales favorables. 

Ainsi, Il s’agit sans doute du coup le plus grave porté au système commercial multilatéral depuis 25 ans.

Le grief des Américains s’explique essentiellement par le fait que l’OMC a refusé de se prononcer rapidement en faveur de Washington dans son différend commercial avec la Chine. L’administration Trump conteste aussi la méthode de calcul de l’OMC en vue de déterminer si la Chine fait du dumping pour exporter des marchandises bon marché sur les marchés étrangers.

Du coup, «le système est affaibli», a souligné Matthias Fekl, président de l’Association des Brasseurs de France, ancien ministre de l’Intérieur et ancien ministre du Commerce extérieur. 

Selon les panelistes, le chamboulement que connaît l’OMC est la conséquence de la stratégie mise en place par les Etats-Unis. Toutefois, ils reconnaissent aussi que l’hégémonie américaine a besoin des règles comme celles mises en place au niveau de l’OMC. Ainsi, les Etats-Unis ne font qu’essayer à travers cette stratégie de blocage et de guerre commerciale d’imposer de nouvelles règles devant encadrer le commerce mondial.

Dans tous les cas, en ce qi concerne le commerce mondial, souligne Renato Flôres, directeur d'International Intelligence Unit, et professeur à l’Ecole supérieure d’économie (Brésil), «la question fondamentale n’est pas la Chine, mais les Etats-Unis». Pour lui, «la Chine est le bouc émissaire des pays développés» qui souhaitent revoir les règles face à la puissance exportatrice de celle-ci.

Du coup, plusieurs scénarios sont envisagés pour l’avenir de l’OMC. D’abord, une OMC timidement reformée. Ensuite, une OMC reformée en profondeur avec la refonte des mécanismes du commerce international. Une OMC dans son format actuel, mais sans les Etats-Unis. Et enfin, la disparition de l’OMC et un commerce mondial encadré par des regroupements régionaux. Ces deux derniers scénarios étant les plus probables.

Mais le scénario le plus plausible demeure celui de la réforme de l’OMC. Et dans ce cadre, souligne Flôrès, le problème est de savoir «quelles sont les alliances qui se noueront pour la mise en place d’un système multilatéral pour le commerce mondial?».

Et en cas d’exaspération de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, les experts ont souligné que les pays liés par des accords commerciaux de libre-échange souffriront beaucoup moins.

Autrement dit, les pays africains ont intérêt à accélerer la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) afin d'accroître le volume des échanges intra-africains et mieux peser sur les accords à établir avec les autres regroupements régionaux.

A ce titre, Matthias Fekl appelle à un renforcement des relations entre l’Union européenne et le continent africain. Reste que depuis quelques années, les échanges commerciaux du continent sont de plus en plus orientés vers la Chine devenue, de loin, son premier partenaire commercial.

Pour ce qui est du système financier, l’économie mondiale est toujours tourmentée par la crise financière de 2008. Les experts sont unanimes pour dire que le système commence à montrer ses points de vulnérabilité à cause, entre autres: de la dette colossale des entreprises non financières, des investisseurs institutionnels qui ont pris beaucoup de risques, du niveau d’endettement des pays en développement, les tensions sur le marché interbancaire américain…

Ainsi, au cours du mois de septembre, les taux ont augmenté sur le marché interbancaire américain à près de 10%, alors qu’ils se situaient autour de 2% auparavant, forçant la Fed à intervenir en prêtant directement aux banques plusieurs centaines de milliards de dollars sur le marché interbancaire dans l'objectif de réduire la pénurie de liquidité.

Sur ce dernier point, les experts ont pointé la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed), la banque centrale des Etats-unis, qui a créé une pénurie de liquidité, renchérissant le coût des prêts interbancaires. En asséchant momentanément la liquidité de banques, la Fed a fait ressurgir de mauvais souvenirs, notamment la crise de 2008.

Faut-il s’en inquiéter? Si la situation est différente de celle qui a prévalu en 2008, du fait que les paramètres de base des prêts étaient basés sur le marché immobilier, qui était déjà dans une situation désastreuse, aujourd’hui, les obligations du Trésor américain ont pris le relai comme déterminants fondamentaux. Des obligations dont la qualité n’est pas contestée. Une situation qui permet d’éviter une crise sur le marché interbancaire.

Dans d’autres régions, c’est l’excès de liquidités qui pose problème. Il entraîne une baisse des taux d’intérêt et dans certains pays, même les taux sont négatifs. Ainsi, selon Rym Ayadi, professeure honoraire à la CASS Business School, fondatrice et directrice scientifique du Réseau euro-méditerranéen pour les études économiques (Tunisie), «25% des obligations émises dans le monde sont à taux négatifs». Les taux négatifs contractent la marge d’intérêt des banques et les poussent à prendre plus de risque.

Par contre, certains y voient aussi une opportunité à long terme pour financer le développement de l’économie mondiale. "L’Italie se finance à des taux négatifs, a-t-elle expliqué.

En outre, le niveau d’endettement de nombreux pays en développement commence à inquiéter. C’est le cas notamment de certains Etats africains dont les taux d’endettement réels dépassent les 100%. Un endettement facilité par la Chine et qui fait que le niveau d'engagement de nombreux pays africains a explosé au cours de ces dernières années. Certains pays ont du mal à assurer leurs services de la dette.

Les experts ont souligné «la nécessité d’effacer la dette et être prudent afin que le taux d’endettement n’augmente pas plus rapidement que la croissance du PIB des pays emprunteurs du continent», a expliqué Itaviano Canuto (Brésil), Senor Fellow Policy Center for the New South.

Au-delà, et face aux points de vulnérabilité du système financier, les experts ont unanimement souligné la nécessité de la mise en place d’un système de régulation à même d’anticiper et d’atténuer les effets d’une crise financière. A ce titre, du fait de l’incapacité du FMI d’y faire face, ils appellent à des réformes profondes du système financier mondial.

Pour eux, «il faut des autorités règlementaires à même de traiter le système de liquidité mondial, de manière différente de l’approche du FMI». A ce titre, avancent-ils, «la coordination des banques centrales est plus que nécessaire pour faire face aux risques financiers». En clair, le rôle des grandes banques centrales (Fed, BCE, Banque centrale chinoise, Banque du Japon, Banque d’Angleterre, Banque de Russie, etc.) comme régulateurs du système financier est souhaité.

Par Moussa Diop et Said Bouchrit
Le 17/12/2019 à 16h50, mis à jour le 17/12/2019 à 17h07