Le G5 Sahel a t-il les moyens de ses ambitions?

Les dirigeants des pays du G5.

Les dirigeants des pays du G5.. DR

Le 05/03/2017 à 14h07, mis à jour le 05/03/2017 à 14h13

Trois ans après sa création, le G5 Sahel n’arrive pas à transformer en actes la dynamique à l’origine de sa création. Les principaux projets de mise en place d’une force de défense commune et d’une compagnie aérienne régionale sont toujours dans les cartons. Quel bilan faut-il tirer?

Ambitieux, le G5 Sahel l’a été dès sa création lors du sommet qui s'est déroulé du 15 au 17 février 2014 à Nouakchott, en Mauritanie. Dans le but de coordonner leurs politiques au niveau régional, les dirigeants des cinq pays fondateurs –Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad- s’étaient fixés des objectifs élevés qui s’articulaient autour de deux axes: sécurité et développement.

Pour beaucoup d’observateurs, si le nom de l’institution renvoie un peu au G5, ancêtre du G8 actuel, les objectifs et les motivations de ses fondateurs restent sur certains points démesurées au regard des moyens dont ils disposent sachant que certains de ces pays figurent parmi les plus pauvres du monde.

Pour rappel, parmi les principaux objectifs du G5 Sahel, il y a, entre autres, la création d’une force d’intervention commune, la création d’une école régionale de guerre en Mauritanie, le lancement d’une compagnie aérienne, la construction d’une ligne ferroviaire reliant les cinq pays et la suppression des visas entre les pays de la région.

Commençons d’abord par la création d’une «Force conjointe du G5 Sahel» décidée en novembre 2015 à N’Djamena, au Tchad. Seulement, depuis cette date, et malgré les nombreuses réunions des chefs d’Etat, des ministres et des chefs d’Etat-major, cette force commune demeure un voeu pieux. En effet, les dirigeants du G5 Sahel n’arrivent pas à définir les contours de cette force en matière d'effectifs, de commandement et de mode de fonctionnement.

Sahel de la défense

Lors de la dernière réunion des chefs d’Etat de la région qui s'est tenue à Bamako, au Mali, le 6 février dernier, il a été question de la mutualisation des efforts et d’aller rapidement vers la création du Sahel de la défense. Toutefois, les pays reconnaissent ne pas disposer des moyens de leur politique. «Ce que nous voulons, c’est que les pays européens nous donnent les moyens. Nous allons nous-mêmes être en première ligne dans la lutte contre le terrorisme dans l’espace du G5», a souligné le président tchadien, Idriss Déby Itno.

Pourtant, le Sahel de la défense peut s’inspirer de la Force d’intervention conjointe multinationale (MNJTF) qui regroupe le Nigeria, le Cameroun, le Tchad, le Niger et dont l’Etat-major est installé à N’Djamena. La collaboration des armées de ces pays durement touchés par Boko Haram a permis de réduire la nuisance de ce groupe terroriste aujourd’hui acculé dans son dernier retranchement au Nigeria.

Et la situation urge sachant que la région fait face à des menaces de groupes terroristes qui viennent d’ailleurs de devancer les Etats de la région en donnant naissance à une nouvelle entité djihadiste «Nosrat Al Islam Wal Mouslimine», une sorte de «G5 des groupes terroristes du Sahel» qui regroupe les cinq groupes terroristes en activité au Sahel. Les terroristes montrent une fois de plus qu’ils sont plus réactifs que les politiques.

"Air Sahel"

Par ailleurs, le terrorisme et les trafics en tout genre touchant l'ensemble de la région, on se demande quelles relations le G5 Sahel de la défense nouera avec ses voisins, notamment avec l’Algérie et la Libye, deux pays impactés par le terrorisme, et dans une moindre mesure avec le Sénégal, le Soudan et l’Egypte. Cette dernière ayant sollicité le statut d’observateur au sein du G5 Sahel.

Le G5 Sahel s’était également fixé comme objectif immédiat la création d’une compagnie aérienne «Air Sahel». Il s’agit d’un vieux projet de compagnie sous-régionale entre la Mauritanie, le Mali et le Niger. «Air Sahel» fait partie des projets stratégiques du G5 Sahel et vise à contribuer à l’intégration et au désenclavement de la région sachant que pour aller d'une capitale à l'autre dans la région, il faut souvent passer par Casablanca ou Paris. C’est dire l’importance que représenterait une compagnie régionale au niveau du Sahel. Ainsi, lors du troisième sommet des chefs d’Etat du G5 Sahel, la résolution principale, en plus de la création d’une force mixte de lutte contre le terrorisme, a été l’accélération du processus de lancement de«Air Sahel». Celui-ci devrait intervenir d’ici fin 2017, selon les chefs d’Etat. Le projet bénéficie même du soutien de certains organismes financiers. 

Toutefois, les contours de cette compagnie ne sont pas encore clairement définis: répartition du capital, lieu géographique du siège, fonctionnement de la compagnie, etc.

Le visa demeure

En plus, pour nombre d’observateurs, si l’utilité d’une telle compagnie n’est pas à démontrer, les expériences passées de création de compagnies régionales n’ont pas été concluantes. C’est le cas notamment d’Air Afrique, compagnie qui a regroupé plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et centrale et qui a fini en faillite. En plus, la plupart des compagnies nationales de la région sont en difficulté et ne fonctionnent que grâce à l'aide des gouvernements. Ce qui montre que la gestion d’une compagnie régionale plus imposante risque de poser plus de problèmes.

En outre, que feront les Etats avec leurs compagnies nationales? Accepteront-ils de dissoudre celles-ci au sein de la nouvelle compagnie «Air Sahel». Il faut souligner que le Burkina Faso (Air Burkina), la Mauritanie (Mauritania Airways, le Tchad (Toumia Air Tchad) et le Niger (Niger Airlines) possèdent leurs propres compagnies aériennes avec des flottes comprises entre 2 et 4 appareils, pour un total d’une douzaine d’appareils. La cohabitation de ces compagnies avec «Air Sahel» sera impossible pour un si petit marché.

Par ailleurs, en ce qui concerne la suppression de visa, il s’agit encore d’un simple vœu des chefs d’Etat de la région. La décision serait facile à prendre pour les dirigeants des pays du G5. Le président béninois vient de montrer l’exemple en supprimant les formalités de visa aux africains qui se rendent dans son pays. Au niveau du G5, les chefs d’Etats réunis à Bamako ont une nouvelle fois rappelé l’intérêt de supprimer les visas pour permettre la libre circulation des personnes, déjà en vigueur entre certains membres du G5 Sahel qui appartiennent à l’espace CEDEAO –Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest- (Burkina Faso, Mali et Niger).

Toutefois, certains Etats préfèrent se cacher derrière la nécessité de protéger encore leurs frontières dans un environnement marqué par la menace terroriste.

Une réalisation

Enfin, pour ce qui est du chemin de fer, il s’agit d’un projet à moyen terme. Toutefois, vu le coût de l'ouvrage devant relier Nouakchott à N’Djamena, en passant par Bamako, Ouagadougou et Niamey, il faudra plus que du moyen terme, à moins que le géant chinois, qui finance à tour de bras les projets ferroviaires un peu partout en Afrique, y trouve un intérêt et prenne le projet en main.

En clair, à ce jour, aucun des projets annoncés n’a vu le jour, à l’exception du Collège de Défense inauguré en Mauritanie. Ce collège, unique dans la sous-région, est le fruit d’un don de 9 millions de dollars des Emirat arabes unis à la Mauritanie. Il a pour mission de former des officiers supérieurs mauritaniens et ceux des forces des pays du G5 Sahel appelés à occuper des postes de commandement pour des opérations aussi bien au niveau national qu’international. Il contribuera ainsi à relever les défis sécuritaires auxquels la région est confrontée.

En clair, le G5 Sahel n’a pas réellement les moyens de ses ambitions. En effet, pour remplir ses objectifs, le regroupement régional compte avant tout sur les financements des pays occidentaux et des bailleurs de fonds étrangers. Les pays de la région pensent plus à la cagnotte de 8 milliards d’euros promise par l’Occident pour la lutte contre le terrorisme au Sahel pour réaliser leurs objectifs qu'à unir leurs moyens pour entamer les projets en commun.

Ainsi, le fond du problème du G5 Sahel, à l’instar des institutions régionales et même continentales, c’est de vouloir coûte que coûte dépendre des aides et des dons provenant des pays développés.

In fine, pour nombre d’observateurs, il ne faut pas s’attendre à ce que l’organisation régionale naissante puisse faire des miracles sachant que d’autres plus anciennes n’affichent que des résultats médiocres.

Par Moussa Diop
Le 05/03/2017 à 14h07, mis à jour le 05/03/2017 à 14h13