La filière lait locale est structurellement en difficulté face aux exportations sauvages venues d’Europe et qui inondent le marché d'Afrique de l’Ouest et du Centre. Elle se trouve désormais sous la menace d’une mort inévitable, si rien n’est fait pour donner aux acteurs des moyens de résilience dans le contexte de la pandémie de Covid-19.
Ce constat est clairement ressorti de la célébration de la journée mondiale du lait, marquée par l’organisation, lundi 1er juin, d’une conférence de presse virtuelle à l’initiative des acteurs de 6 pays: Mauritanie, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad.
Cinquante-cinq organisations de producteurs et productrices des six pays s’y sont engagées dans une campagne sous le thème «Mon lait est local». Elles ont réitéré un vibrant appel à l’endroit des chefs d’État et dirigeants d’institutions d’intégration «en vue d’entreprendre des actions en faveur de la filière, déjà en difficultés structurelles, et désormais menacée par la pandémie du coronavirus (Covid-19)».
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En conséquence de cette situation, les producteurs laitiers enregistrent des pertes importantes, tant financières que de cheptels.
«Pour le mois de mars 2020, par exemple, la laiterie Kossam de l’Ouest au Burkina Faso a perdu 6 millions de francs CFA, soit 9.000 euro» annonce un document publié dans le cadre de la campagne.
Les effets de la pandémie de Covid-19, à l’origine de «la fermeture des frontières, des restrictions de mouvements et les mesures de limitation de mobilité interne et entre les pays, entraînent d’énormes difficultés d’accès aux marchés urbains et transfrontaliers pour l’écoulement des produits, l’accès aux pâturages et aux points d’eau pour l’alimentation du bétail, l’émergence de maladies zoo sanitaires dans les zones transfrontalières».
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La pandémie «est venue accentuer les effets négatifs des problèmes structurels de la filière: sécheresses et inondations liées aux effets du changement climatique, menace quasi permanente depuis plusieurs années, d’invasion du marché africain par les exportations massives de certains pays du Nord (mélange de poudre de lait écrémé avec de la matière végétale, notamment de l’huile de palme). Ce lait importé bénéficie d’un tarif douanier avantageux (5%), permettant de le vendre 30 à 50% moins cher que le lait local. Un phénomène qui fait perdre des emplois aux productrices et aux producteurs de lait, tout en privant les consommateurs des éléments nutritifs qu’on retrouve dans le vrai lait», a expliqué Adama Coulibaly, directeur régional d’OXFAM en Afrique de l’Ouest.
Il ajoute que «la Commission européenne investit des centaines de millions d’euros pour soutenir les pays du Sahel et la lutte contre les inégalités, mais elle ne doit pas reprendre d’une main ce qu’elle donne de l’autre».
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Cette situation a un impact économique et social sur la filière lait. Elle provoque «une paupérisation continue des éleveurs, des producteurs et de leurs familles, qui contribue par ricochet aux situations de crises alimentaires et à la malnutrition au sein des communautés, alors que le pastoralisme et l’agro pastoralisme font vivre 48 millions d’individus», explique-t-il.
En effet, malgré un potentiel de production laitière important, la région reste dépendante des importations. En 2018, l’Afrique de l’Ouest a importé 276.892 tonnes d’un mélange de lait écrémé et de matière grasse végétale (MVG) en poudre, un volume presque 3 fois plus important qu’en 2016 et 200 fois plus qu’en 2008.
D’après OXFAM et SOS Faim, elles constituent 74,9% des importations depuis l’Union européenne,
Depuis une décennie, les importations ouest-africaines de lait ont atteint 60% des besoins, grevant fortement la balance commerciale des Etats de la région.
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Il faut dire que la transformation du lait est un gros défi. En effet, «sur 4 milliards de litres de lait produits localement, seulement 2% sont collectés et transformés. 80% des industries laitières installées en Afrique utilisent exclusivement du lait en poudre».
La situation géopolitique du Sahel est marquée par une crise multidimensionnelle, pauvreté généralisée, effets du changement climatique, développement de la violence terroriste et inter-communautaire,…
Face à cette situation, un collectif d’éleveurs et de producteurs, avec diverses organisations soutenant la filière, a initié en 2019 une pétition demandant aux chefs d’État et responsables d’institutions régionales, de protéger et promouvoir la filière laitière. Le secteur est vital pour les économies de la région. L’objectif est de rassembler 55.000 signatures, avant le prochain sommet des chefs de la Communauté économique d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), prévu dans ce mois de juin.
La pétition a déjà été signée par 36.201 personnes.