Entre la Mauritanie et le Sénégal, les relations ne sont jamais ce qu’elles paraissent. La récente découverte d’importants gisements de gaz à la frontière entre les deux pays place ces derniers dans une situation particulière. Et le fait que les chefs d’Etat soient régulièrement interpellés sur cette question montre combien celle-ci est importante, sur le plan géostratégique.
Nouakchott et Dakar en froid, à cause du Sahara et de Banjul
Sénégal-Mauritanie: il faut 7 milliards de dollars pour l’exploitation du gaz
Evidemment tous deux rassurent autant qu’ils peuvent. Du côté mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, récemment interpellé par le quotidien français L’Opinion, s’est voulu rassurant, affirmant: "Nous (le Sénégal et la Mauritanie, ndlr) n’avons aucun intérêt à retarder son exploitation par de vaines querelles". Toujours selon lui, "entre nos deux pays, les relations sont ancestrales. Nous avons la responsabilité de continuer à les améliorer". Il ajoute qu’il s’agit "d’un devoir partagé avec le président sénégalais, Macky Sall, au regard des générations futures".
"Collaboration"
A l’entendre, les deux pays doivent "partager ce grand champ gazier qui s'avère vital pour le développement" respectif du Sénégal et de la Mauritanie. Il s’agit aussi de rassurer les investisseurs qui vont engager 10 milliards de dollars. Nos deux sociétés nationales travaillent déjà ensemble et échangent leurs informations».
Du côté sénégalais, le ton est le même. Macky Sall, appelle simplement à une exploitation responsable. Cela, c’est pour le discours conciliant des diplomates. Mais en coulisses, les choses sont moins simples.
En effet, quand il a fallu penser à des puits, la Mauritanie a catégoriquement refusé que les puits soient situés sur le sol sénégalais. Cela aurait permis d’aller vite et surtout d’économiser une bonne partie des coûts des forages off-shore à la frontière maritime des deux pays. Pourquoi cette suspicion vis-à-vis du voisin sénégalais?
Il faut remonter à 1989 pour comprendre. Car, à cette époque, les deux pays ont failli en venir aux armes, à la suite d’une grave crise. Plusieurs Mauritaniens noirs du Fouta ont été chassés vers le Sénégal. Au pays de la téranga également, la rue s’est soulevée contre les intérêts des Maures souvent établis depuis des décennies dans le pays.
Une frontière source de tensions
Après ce malheureux épisode, les relations n’ont plus jamais été les mêmes, bien qu'en apparence, tout semble calme. Ainsi, à plusieurs reprises, il y a une réaction épidermique de la part de l’un ou de l’autre pays. La Mauritanie s’en prend régulièrement aux pêcheurs guet-dariens, c’est-à-dire ceux de Saint-louis du Sénégal. Ces derniers ont historiquement cherché le poisson de part et d’autre de la frontière maritime qui n’existait pas avant l’indépendance en 1960. De même, les éleveurs mauritaniens font l’objet de toutes les restrictions de la part des autorités sénégalaises. Alors que pour eux également, la notion de frontière est très récente.
Mauritanie-Sénégal: vers un accord de coopération pour l'exploitation du gaz
Enfin, il y a la question du Fouta, territoire historiquement situé de part et autre du fleuve Sénégal. Aujourd’hui, tout le monde convient que dans sa partie mauritanienne, sa population plus proche ethniquement du Sénégal, a du mal à s’intégrer avec les Maures. L’administration centrale la regarde avec suspicion.
Sur le plan géostratégique, chacun des deux pays garde l'autre à l'oeil. Ainsi, quand en mars 2012, la Mauritanie passe commande chez le brésilien Embraer, le Sénégal ne tarde pas à lui emboiter le pas en avril de l'année suivante, avec l'achat de 3 Tucanon chez le même constructeur. Quand le Sénégal renforce sa flotte marittime, les officiers de l'armée pensent à la Mauritanie en tout premier lieu. Bref. Derrière le calme apparent, il semble bien qu'il y ait de l'eau dans le gaz.