Le 10 juillet 1978 raconté à travers les éphémérides apparaît comme un tournant dans l’histoire de la Mauritanie, plongée dans la guerre du Sahara aux côtés du royaume du Maroc.
Un combat dans la conduite duquel elle se retrouve rapidement comme "un maillon faible" sous les coups de boutoir d’un front "Polisario" puissamment soutenu et armé par Alger.
La présentation des faits suivant l’ordre de leur déroulement chronologique nous enseigne qu’au petit matin de ce jour fatidique du lundi 10 juillet 1978, le président de la République, maître Moctar Ould Daddah, les membres du gouvernement et du Bureau politique national du Parti du peuple mauritanien (PPM, formation unique d’une époque marquée par le monolithisme) sont arrêtés un à un à leurs domiciles, généralement très rapprochés du point de vue géographique, dans une capitale qui restait encore une petite bourgade.
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Cela s’est passé alors que Moctar Ould Daddah se prépare à prendre les airs pour Khartoum (Soudan), afin d'y assister à un sommet de l'OUA.
C’est son aide de camp, le lieutenant Moulaye Hachem, qui signifie au chef de l’Etat que les forces armées lui retirent leur confiance. Conduit au camp du génie militaire, situé à l'époque à l'extérieur de la ville, il est accueilli par le capitaine Athie Hamath, commandant de cette unité à l’époque.
La suite immédiate est une succession infernale de communiqués et de déclarations: «les forces armées, dépositaires en dernier ressort de la légitimité nationale, conscientes de leurs responsabilités ont pris le pouvoir, ou plutôt repris le pouvoir à ceux qui l’ont lâchement spolié pour sauver le pays et la nation de la ruine et du démembrement, sauvegarder l’unité nationale et l’existence de l’Etat».
Ainsi «la constitution, le gouvernement, l’assemblée nationale et le parti unique sont dissous. Une junte militaire assume tous les pouvoirs jusqu’à la mise en place d’institutions démocratiques et demande à la population d’observer le calme, la discipline et d’obéir aux consignes qui seront données par la radio».
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Cette junte est le Comité militaire de redressement national (CMRN), présidée par le lieutenant-colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck, un officier supérieur originaire de l’Assaba-Kiffa, une localité de l’Est du pays. Le couvre-feu est instauré de 18 heures à 6 heures du matin.
Fin «d’une anarchie politique et économique»
Dans une interview diffusée par la radio nationale au cours de la soirée du 10 juillet 1978, le nouveau chef de l’Etat justifie le putsch sans effusion de sang (une méthode qui va marquer ultérieurement l’évolution militaro-politique de la Mauritanie pendant plusieurs années).
Pour dédouaner cette sortie des casernes, l’officier au visage austère évoque «le marasme économique, le danger quotidien de révolte et de soulèvement populaire entraînés par la banqueroute qui menace le pays. Cette situation, à défaut de toute tentative de solution menée par l’ancien régime, a fait que les forces armées et de sécurité ont décidé de mettre fin au désordre et à l’anarchie politique et économique engendrés par l’ancien pouvoir».
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Côté Royaume du Maroc, on affiche la détermination à maintenir le soutien à la Mauritanie au-delà du changement de régime.
39 ans de gouvernance par des officiers recyclés en politique
La Mauritanie est un pays de 1,03 million de kilomètres carrés, pour 3,5 millions d’habitants. Signe très particulier dans la vie politique de cet Etat charnière entre l’Afrique de l’ouest et le Maghreb: la présence aux commandes d’officiers supérieurs et généraux recyclés dans la politique et ayant troqué le treillis contre le costume 3 pièces depuis le discours de la Baules de mai 1990 du président François Mitterrand, qui imposa le pluralisme politique, synonyme ici d’une démocratie au rabais.
Analysant les conséquences de cette date fatidique dans la suite de l’évolution du pays, Moussa Ould Hamed, ex directeur général de l’Agence mauritanienne d’Information (AMI), déplore l’irruption sur la scène «d’individus non préparés à l’exercice du pouvoir d’Etat. Un outil dont ils se servent à des fins sans lien avec les objectifs de développement et asservissent la population en s’appuyant sur une clientèle constituée à l’aide de canaux tribaux, ethniques et régionaux».
De Ould Saleck, Louly à Haiddallah, c’est la ronde des régimes militaires d’exception qui sera suivi par le règne d’un pouvoir qui prit opportunément le pari du pluralisme par nécessité de survie.
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La chute du régime de Ould Taya, renversé par le colonel Ely ould Mohamed Vall ouvrira une période de transition 2005-2007, marquée par une série de réformes visant l’approfondissement de la démocratie, avec notamment la constitutionnalisation du principe de l’alternance, dont la traduction est la limitation des mandats du président de la République à deux seulement pour éviter le monopole du pouvoir.
Cette transition sera suivie par les premières véritables élections multipartites démocratiques et libres connues par le pays depuis son indépendance.
Sidi Ould Cheikh Abdallah va remporter ces élections libres marquant le retour des civils à la tête de l'Etat mauritanien. Il va annoncer des mesures courageuses visant à cimenter l'unité nationale et promouvoir la réconciliation nationale avec notamment l'annonce du retour des déportés mauritaniens au Sénégal depuis presque deux décennies.
Toutefois, ce retour du régime aux civils sera rapidement stoppé par un énième coup d'Etat, le 06 août 2008, perpétré par le général Mohamed Ould Abdel Aziz, alors commandant en chef du Bataillon de la sécurité présidentielle (BASEP).
Un nouveau départ vers le passé
Ainsi, Moussa Ould Hamed ajoute que «depuis le 06 août 2008, on est dans un cas de perpétuation de cette réalité, sans aucune perspective d’évolution. Ce mal rejaillit sur la classe politique au sein de laquelle on ne retrouve plus désormais que des acteurs attachés à leur intérêt personnel, prêt à toutes les compromissions et les courbettes pour avoir une part du gâteau».
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Idoumou Ould Mohamed, responsable au sein du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), une vaste coalition de l’opposition, présente le 10 juillet 1978 «comme une date qui marque l’entrée par effraction des militaires dans le jeu politique et l’exercice du pouvoir qu’ils n’ont plus lâché depuis lors».
De nombreux mauritaniens déplorent «la situation d’un pays qui gémit sous les bottes d’une oligarchie militaro affairiste depuis une quarantaine d’années».
In fine, ce 39e anniversaire de la date du 10 juillet 1978 intervient dans un contexte politique marqué par la perspective d’un référendum pour l’adoption d’un projet de révision constitutionnelle prévue le 05 août prochain. Celui-ci sera organisé sur la base d’un article 38 de la loi fondamentale très contesté, dont l’usage risque de fermer la voie à toute éventuelle alternance au pouvoir.
Une chose est sûre, cette oligarchie militaro-affairiste n'est pas près de lâcher le pouvoir à des civils démocratiquement élus...