La Mauritanie est entrée dans une campagne électorale inédite ce vendredi 7 juin à minuit, dans la perspective d’un scrutin présidentiel dont le vote est fixé au 22 juin 2019.
Particularité de ce contexte: après un putsch perpétré contre le seul pouvoir démocratiquement élu de l’histoire d’un pays dont le parcours est hanté par des coups d’Etat et des révolutions de palais, le 6 août 2008, suivi de deux mandats conférés par la légitimité des urnes, le président Mohamed ould Abdel Aziz, contraint par les dispositions de la constitution consacrant le principe de l’alternance, n'a pu se présenter cette année.
Ainsi, dans un message à la nation délivré mardi dernier à l’occasion de la célébration de la fête marquant la fin du jeûne musulman du Ramadan, le président sortant s’est placé dans la perspective du vote du 22 juin, en parlant aux candidats et à tous les citoyens de la République Islamique de Mauritanie.
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Dans un message empli de sagesse, il a exhorté les uns et les autres à faire du prochain scrutin «une occasion de prouver leur attachement à la patrie et à la démocratie, faire preuve de maturité politique et aborder cette élection dans un esprit de compétition responsable et un climat de tolérance, de fraternité, loin de la crispation, de l’aigreur, des discours d’intolérance et de division».
A la pêche des voix
Pour aller à la rencontre de la population, dans le but de les convaincre afin de recueillir le maximum de suffrages le jour J, les différents protagonistes ont ciblé certaines zones et localités. Une démarche qui semble être le fruit d’une réflexion stratégique menée par les différents staffs de campagne, sur le terrain, depuis plusieurs semaines.
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Ainsi, Mohamed Cheikh Ahmed Mohamed dit Ghazouani (candidat de la majorité), ancien ministre de la défense et ex-chef d’état major, a jeté son dévolu, pour débuter sa campagne, sur Nouadhibou, grande métropole du Nord, cité minière et portuaire, ancienne capitale économique, actuellement en profonde crise, provoquée par les déboires de la Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM).
Il s’est rendu dans cette localité symbole d’un secteur de la pêche, également en difficults, en compagnie de tout le banc et l’arrière-banc de la République, ministres et hauts fonctionnaires, placés aux postes stratégiques de son staff de campagne, avec les avantages et les inconvénients qui peuvent en résulter. Au cours de son premier meeting, le candidat Ghazouani a rendu un vibrant hommage au président en exercice, son ami de 40 ans, Mohamed ould Abdel Aziz.
Dans le même temps, quatre candidats, parmi lesquels trois se réclamant de l’opposition, ont investi Nouakchott. La capitale regroupe près d’un quart de l’électorat (24%), sur lequel les pressions pour un vote tribal ou un choix contraire aux convictions citoyennes, devraient avoir moins d’effet.
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Sidi Mohamed ould Boubacar, soutenu par le Rassemblement National pour la Réforme et le Développement (RNRD/Tawassoul, mouvance islamiste), première force de l’opposition à l’assemblée nationale, et d’autres formations de moindre importance, a provoqué des bouchons au centre-ville par son "méga-meeting". Il a insisté sur la nécessité d’un véritable changement pour le pays.
Mohamed ould Maouloud (Coalition des Forces du Changement Démocratique (CFCD)-Changeons d’Ere), leader de l’Union des Forces de Progrès (UFP), a organisé quant à lui un rassemblement en face du Musée National. Ce candidat s’est engagé à dissoudre l’assemblée dans le cas ou il serait élu.
Birame Dah Abeid, leader anti-esclavagiste, a réuni plusieurs milliers de partisans et de sympathisants au carrefour de la foire (dans la proche banlieue de la capitale) sous le slogan «le changement, c’est maintenant». Orateur de talent, ce député a entamé sa campagne par une sortie au vitriol contre «un régime qui a pillé les ressources et dressé les populations les unes contre les autres». D’où la proposition d’un nouveau contrat social d’égalité.
Le candidat indépendant Mohamed Lemine Moutaj Wavi a également débuté ses activités à Nouakchott.
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Pour sa part, Kane Hamidou Baba, candidat de la Coalition Vivre Ensemble (CVE-mouvance négro-africaine), s’est rendu à Boghé (à 310 kilomètres au sud de la capitale), pour un meeting populaire. Il a fait foule, comme en attestent les images envoyées depuis cette ville, qui est l’une des trois plus importantes cités de la vallée du fleuve, côté rive droite, du point de vue de la population. Au cours de son mééting, Kane a évoqué trois thèmes d'importance: l’éducation, la jeunesse et l’unité nationale.
Sujets de crispation
Les différents éléments ainsi évoqués autorisent-ils à penser que la Mauritanie file sans couac vers un scrutin présidentiel apaisé à l’issue duquel les candidats malheureux vont sportivement féliciter l’homme que les électeurs auront désigné pour assumer les fonctions suprêmes pour les 5 prochaines années? Rien n’est moins sûr, car les sujets de crispations ne manquent pas, relèvent les analystes de la vie politique mauritanienne.
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Premier couac: sur un plan purement médiatique, une déclaration relative aux risques de chaos en cas de défaite du candidat de la majorité, Ghazouani, prêtée au chef d’Etat toujours en exercice, est venue polluer l’atmosphère, provoquant une réaction des opposants, convaincus de l’existence d’un projet de hold-up électoral.
Autre sujet de discorde: la composition de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). Une institution politique et non administrative, composée des représentants des partis de la majorité et de l’opposition dite modérée, dont toutes les formations ont déclaré soutenir le candidat du pouvoir. Une posture partisane qui risque de vicier le travail ultérieur d’une institution appelée à jouer un rôle de régulateur électoral.
Autre sujet polémique et objet de contestations: l’attribution du marché de la confection des bulletins de vote à une entreprise appartenant à Zeine El Abidine Cheikh Ahmed, président de l’Union Nationale du Patronat de Mauritanie (UNPM), jusqu'ici inconnue au bataillon.
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Le président du patronat, par ailleurs accusé de mener une campagne de collecte de fonds au profit du candidat Ghazouani, est présenté comme un proche de Mohamed ould Abdel Aziz.
En conséquence, les candidats de l’opposition assimilent l’adjudication de ce marché stratégique, celui de la confection des bulletins de vote, à une infraction assimilable à un délit d’initié.
Autant de signaux d’alarme qui alertent sur une inévitable contestation post-électorale, en cas de victoire, plus que probable, du candidat du pouvoir.