Alors que le monde est encore en pleine crise sanitaire, le président tunisien Kaïs Saïed entame ce lundi 22 juin 2020 une visite express de 24 heures à Paris sur invitation de son homologue français, Emmanuel Macron. Il s’agit du troisième déplacement du président tunisien à l’étranger depuis son élection en octobre 2019 et la première depuis l'apparition de la pandémie du coronavirus en Afrique.
Le timing de cette visite, alors que les deux pays entament leur déconfinement, illustre bien les enjeux qui se posent actuellement à la Tunisie.
D’abord, il y a la question libyenne qui hante particulièrement Tunis du fait de l’évolution inquiétante que tend à prendre celle-ci depuis l’intervention turque auprès du gouvernement de Tripoli. Une situation qui a permis aux forces gouvernementales de repousser celles de l’homme fort de l’Est libyen: le maréchal Khalifa Haftar, soutenu par l’Egypte et les Emirats arabes unis, mais aussi, par la France. Une situation devenue préoccupante pour laTunisie au moment où l’Egypte, appuyée par les Emirats arabes unis, menace d’intervenir militairement.
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Une confrontation entre l’Egypte et la Turquie en terre libyenne risque d’avoir des conséquences encore plus destructrices. Et la Tunisie, durement touchée économiquement par les effets de la guerre en Libye pourrait faire face à un afflux de réfugiés et voir son économie sombrer davantage.
La Tunisie partage une frontière de 500 km avec la Libye. Elle souffre de l’arrêt du commerce avec ce voisin pétrolier et accueille déjà près de 800 000 réfugiés qui fuient la guerre qui perdure depuis 2011.
La France qui a joué un rôle important dans la chute de l’ancien guide libyen Kadhafi est très impliquée dans ce dossier devenu complexe, suite à l’intervention militaire turque.
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L’autre volet est économique. La Tunisie traverse depuis une décennie une crise économique aiguë, aggravée par la pandémie alors que le pays commençait tout juste à entrevoir le bout du tunnel.
Plusieurs pans de l’économie du pays sont touchés de plein fouet, notamment celui du tourisme, l’une des locomotives économiques du pays, mais aussi le secteur du transport aérien et celui des exportateurs.
Au-delà, c’est toute l’économie tunisienne qui traverse une crise économique dont les conséquences sociales risquent d’être graves si le pouvoir en place n’arrive pas à relancer rapidement la machine.
A cause du coronavirus, la Tunisie devrait enregistrer sa plus grave récession depuis l’Indépendance en 1956, avec un PIB en recul de -4%, contre -1,9% en 2011 lors de la révolution. On s'attend à 160.000 chômeurs de plus, ce qui porterait à 800 000 le nombre total de chômeurs. Aujourd’hui, c’est 20% de la population tunisienne qui a besoin d’aide. D’où l’urgence de faire redémarrer l’économie du pays.
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C’est dans cette optique que le gouvernement tunisien a annoncé l’ouverture des frontières du pays. Il souhaite ainsi relancer le secteur touristique et sauver une partie de l’activité estivale. A ce titre, Tunis, grâce aux bons résultats réalisés en matière de lutte contre le coronavirus, espère que Paris ne va pas entraver le voyage des touristes français vers la Tunisie. La France étant le premier émetteur de touristes européens vers la Tunisie et le second pays du monde après l'Algérie.
Au-delà, Tunis espère de Paris une aide financière conséquente pour relancer son économie exsangue. La France est le premier partenaire commercial de la Tunisie et les échanges commerciaux sont favorables à Tunis. En outre, on recense 1.500 entreprises françaises en Tunisie qui emploient quelque 150.000 Tunisiens.
Avec cette visite, la Tunisie souhaite aussi tirer profit de certaines relocalisations d’entreprises françaises sur son territoire dans le cadre du processus visant à réduire la dépendance européenne vis-à-vis de la Chine.
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Par ailleurs, cette visite sera également l’occasion de renforcer les relations bilatérales entre les deux pays. Des relations loin d’être au beau fixe ces derniers temps. Au niveau diplomatique, la Tunisie n’est plus représentée à Paris depuis 6 mois suite au limogeage de l’ambassadeur et du consul général en novembre et décembre 2019, dans la foulée de l’élection de Kaïs Saïed.
En outre, la motion déposée par un parti politique tunisien à l’Assemblée nationale, demandant des excuses officielles de la France pour tous les crimes commis «pendant et après la colonisation», a refroidi un peu plus les relations entre les deux pays. Enfin, sur le dossier libyen, la «neutralité» de la Tunisie n’est que peu appréciée par Paris du fait du soutien ouvert du président du Parlement tunisien Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste Ennahda, à la Turquie.
Enfin, le dernier enjeu de cette visite est d’offrir au président tunisien la possibilité de s’affirmer en tant que maître de la diplomatie tunisienne, domaine où il est actuellement très concurrencé par le président du parlement tunisien connu comme étant très proche du président turc Recep Tayyip Erdogan.