A partir de ce jeudi, toutes les marchandises en provenance de 185 pays et territoires qui entrent aux Etats-Unis sont soumises aux nouvelles surtaxes imposées par le président américain au reste du monde. La seule exception concerne les marchandises embarquées avant le 7 août et arrivant aux Etats-Unis avant le 5 octobre. Elles resteront soumises aux anciens droits de douane. Au-delà de ce délai, la surtaxe s’appliquera sans exception, sans garantie de retour en arrière, selon les autorités américaines.
Bref, tous les pays du monde vont trinquer. Mais les tarifs douaniers sur les produits entrant aux Etats-Unis étant compris entre 10% et 41%, à l’exception du Brésil, sanctionné avec un tarif de 50%, certains pays seront plus touchés que d’autres.
Concernant l’Afrique, les nouveaux tarifs de Trump frappant les produits du continent peuvent être classés en trois catégories.
En 2024, les exportations américaines vers l'Afrique ont atteint 32,1 milliards de dollars (+11,9%) et les importations américaines en provenance d'Afrique se sont élevées à 39,5 milliards de dollars. Les États-Unis ont enregistré un déficit commercial de 7,4 milliards de dollars avec l'Afrique.
D’abord, il y a les pays les plus taxés avec des tarifs allant de 25 à 30%. Ces tarifs élevés touchent 4 pays seulement: la Tunisie (25%), la Libye (30%), l’Algérie (30%) et l’Afrique du Sud (30%). Ensuite, il y a 18 pays qui devront supporter des tarifs de 15% dont le Nigeria, l’Angola, la Côte d’Ivoire, la Guinée équatoriale, le Cameroun, la RD Congo, le Ghana, la Zambie, Maurice… Enfin, il y a la grande majorité des pays africains, soit 32 Etats, qui ne devront supporter que le tarif plancher de 10%. Parmi ces derniers figurent l’Egypte, le Maroc, l’Ethiopie, la Tanzanie, le Sénégal, le Kenya, le Rwanda, la Guinée, le Gabon…
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Globalement, le volume des échanges commerciaux entre l’Afrique et les Etats-Unis s’est établi à 71,6 milliards de dollars en 2024, dont 39,5 milliards de dollars d’exportation des pays africains vers les Etats-Unis et 32,1 milliards de dollars d’exportations américaines vers l’Afrique. Sachant que les Etats-Unis importent pour plus de 3.300 milliards de dollars, on peut dire que la part de l’Afrique est insignifiante, représentant seulement 1,2% des importations totales américaines.
L’Afrique exporte essentiellement des minerais (cuivre, platine, lithium, or…), du pétrole, des produits agricoles, des produits chimiques (engrais notamment)… Globalement, les exportations africaines ne concurrencent pas vraiment l’industrie américaine, mais la soutiennent. Toutefois, selon les tarifs appliqués, celles-ci seront confrontées à la concurrence d’autres marchés.
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En clair, les tarifs différenciés pourraient modifier fondamentalement le paysage commercial de l’Afrique avec les Etats-Unis. D’abord, vis-à-vis des pays concurrents hors du continent, ces nouveaux tarifs signent la fin de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), ce programme commercial préférentiel qui permettait depuis 2000 à 32 pays africains d’exporter en franchise vers les États-Unis. Cette franchise de douane offrait un avantage compétitif aux produits africains sur le marché américain, comparativement aux produits venant d’autres régions et qui étaient soumis au droit de douane. Avec la fin de l’Agoa, certains pays africains sont soumis à des droits de douane identiques sinon supérieurs à ceux de leurs concurrents, notamment asiatiques. Ensuite, entre pays africains, les taxes pourraient avantager certains et désavantager d’autres et modifier les parts de marché de certains produits importés par les Etats-Unis du continent.
Mais au-delà des taxes, l’impact sur les pays dépendra surtout du volume des exportations de chacun d’eux vers les Etats-Unis.
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Et les conséquences peuvent être néfastes pour certains secteurs d’activité de certains pays. C’est particulièrement le cas de l’Afrique du Sud, l’un des pays les plus touchés par ces nouveaux tarifs et dont 8% des exportations totales en 2024 ont pris la destination des Etats-Unis.
Selon la Banque centrale sud-africaine, au moins 100.000 emplois sont menacés, principalement dans deux secteurs clés: l’agriculture et l’industrie automobile. Toutefois, pour les autorités sud-africaines, ce ne sont pas toutes les exportations sud-africaines qui sont touchées par les taxes. Selon elles, environ 35% des produits exportés par le pays, dont le cuivre, les semi-conducteurs et certains minerais critiques échappent aux surtaxes.
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Par produits, les pays africains exportateurs de minerais (cobalt, cuivre, lithium, platine…) ne devraient pas être très affectés. En effet, les grands pays exportateurs de minerais (RDC, Zambie, Zimbabwe, Ghana…), hormis l’Afrique du Sud, sont taxés entre 10 et 15%. Mieux, ces pays sont souvent bien avantagés par rapport à certains de leurs concurrents d’Asie et d’Amérique latine.
En plus, pour certains minerais (platine pour l’Afrique du Sud, Cobalt pour la RDC, le manganèse pour le Gabon…), les pays africains disposent de positions qui leur permettent de répercuter la surtaxe sans craindre de perdre des parts de marchés. L’Afrique du Sud contrôle presque le quart du marché de platine, la RDC contrôle plus de 70% du marché du cobalt… Nonobstant, pour l’Afrique du Sud, certains métaux lourdement taxés par rapport à ceux des concurrents pourraient impacter négativement la demande sud-africaine.
En ce qui concerne les hydrocarbures, le Nigeria, l’Angola, la Libye, l’Algérie, la Guinée équatoriale, le Ghana, exportent essentiellement des hydrocarbures vers les Etats-Unis. Dans ce lot, l’Algérie et la Libye sont durement taxées à hauteur de 30%, contre 15% pour le Nigeria, le Ghana, l’Angola et la Guinée équatoriale. Et quand on sait que les pays du Golfe sont taxés à seulement 10%, on comprend que les bruts algérien et libyen seront beaucoup moins compétitifs sur le marché américain. Or, pour le cas de l’Algérie, l’essentiel des 2,5 milliards de dollars de revenus tirés des exportations algériennes vers les Etats-Unis proviennent des hydrocarbures. Le reste étant composé du ciment, du rond à béton, des engrais azotés et de l’acier qui sont également lourdement taxés de 30% et même 50% pour l’acier.
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Concernant l’industrie automobile, l’Afrique ne compte que deux exportateurs de voitures (Afrique du Sud et le Maroc) et trois exportateurs de composants automobiles (Afrique du Sud, Maroc et Tunisie). Ces produits sont exceptionnellement taxés à hauteur de 25%. Le Maroc exporte plus de 90% de sa production automobile, essentiellement vers le marché européen. C’est dire que l’impact de la taxe américaine est négligeable en ce qui concerne les véhicules. Quant à l’Afrique du Sud, quelque 26.000 unités, soit autour de 12% de la production automobile du pays, se dirigent vers les Etats-Unis, ce qui est relativement important pour le pays arc-en-ciel, mais négligeable par rapport à plus de 8 millions de véhicules importés annuellement par la première puissance économique mondiale. Il s’agit essentiellement des voitures de marques BMW et Mercedes-Benz. Parallèlement, les composants automobiles produits en Afrique sont aussi taxés à hauteur de 25%.
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Pour ce qui est du textile, plusieurs pays africains sont concernés par la surtaxe sur le textile. C’est le cas de Madagascar, du Lesotho, de Maurice, du Kenya, de l’Ethiopie, de la Tunisie… le Lesotho et Madagascar, taxés désormais à hauteur de 15%, sont soulagés suite à la forte réduction des taux qui étaient annoncés en avril dernier (50% pour le Lesotho et 47% pour Madagascar). Mieux, le Kenya, taxé à seulement 10% se trouve avantagés par rapport à ses concurrents africains et surtout asiatiques. Parmi les principaux pays africains exportateurs de produits textiles, c’est le pays le moins taxé alors que le textile tunisien va supporter le tarif le plus élevé au niveau du continent avec un taux de 25%. Le pays est l’un des principaux fournisseurs africains de textiles aux Etats-Unis. Grâce à l’Agoa, le pays a vu la valeur de ses exportations vers les Etats-Unis passer de 55 millions en 2001 à 614 millions de dollars en 2022, représentant environ 68% des exportations totales du pays vers les Etats-Unis, devançant des pays comme Madagascar (406 millions de dollars), le Lesotho (260 millions de dollars)… Les exportations tunisiennes de textiles & habillements devant supporter une surtaxe de 25% auront du mal à rester compétitives sur le marché américain face à ses concurrents asiatiques comme l’Indonésie (19%), le Vietnam (20%), la Thaïlande (19%), le Bangladesh (20%)…
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Concernant les produits agricoles (cacao, café, noix, thé…), plusieurs produits agricoles africains, longtemps bénéficiaires des franchissements de douane dans la cadre de l’Agoa, sont désormais soumis à des droits de douanes allant de 10 à 30%, selon les pays. Parmi les produits agricoles exportés par les pays africains vers les Etats-Unis figurent le café, le thé, les noix, le cacao, les huiles végétales…
Pour certains produits comme la fève de cacao, cette surtaxe ne devrait pas poser de problèmes aux deux premiers producteurs africains et mondiaux, la Côte d’Ivoire et le Ghana, qui pèsent plus de 60% de la production de fève de cacao dans le monde et qui sont les faiseurs du marché. Bénéficiant des tarifs plus favorables comparativement à leurs concurrents asiatiques, ces deux pays pourront répercuter le tarif sur les importateurs américains sans craindre de perdre des parts de marché. Concernant le café, la surtaxe de 50% touchant les produits brésiliens pourrait rebattre les cartes du commerce de ce produit sur le marché américain en faveur d’autres pays beaucoup moins taxés comme l’Ethiopie (10%), le Rwanda (10%)…
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Dans tous les cas, les exportateurs africains touchés par les surtaxes n’ont pas le choix. Ils doivent répercuter, en partie ou en totalité, le coût de la surtaxe sur l’importateur américain. Pour chaque pays, cette répercussion dépendra de sa compétitivité, du niveau de sa surtaxe par rapport à ses concurrents, et des difficultés à trouver de nouveaux marchés plus rémunérateurs…
Face à cette situation, les pays africains touchés par ces tarifs cherchent des solutions. Deux voies s’offrent à eux. D’abord, négocier avec l’administration américaine une réduction des surtaxes douanières. A ce titre, l’Afrique du Sud, dont le président a déploré des «taxes punitives», entend poursuivre les négociations avec les Etats-Unis et propose d’importer plus de gaz naturel liquéfié et de produits agricoles américains, et d’investir dans les industries minières et de recyclage des métaux aux Etats-Unis, en contrepartie d’une réduction de la surtaxe.
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Ensuite, le protectionnisme américain pourrait inciter certains pays durement affectés par les surtaxes à renforcer leurs partenariats avec d’autres puissances économiques, comme l’Union européenne et surtout la Chine qui pourrait être la plus grande gagnante de cette situation. L’empire du milieu exempte de taxes douanières les exportations de 33 pays africains. Cela, leur permettrait de réduire leur dépendance vis-à-vis des Etats-Unis.
Les prochaines semaines seront décisives pour évaluer l’impact de cette décision sur l’économie mondiale et l’avenir des relations commerciales entre les pays les plus touchés et les Etats-Unis. Si chaque pays va scruter l’impact des surtaxes sur son économie, il ne faudra pas aussi perdre de vue l’impact des tarifs sur l’économie américaine, et surtout sur le consommateur américain qui va supporter une grande partie des répercussions de ces tarifs.