Une recomposition profonde s’opère autour des sous-sols africains, au moment même où la transition énergétique mondiale restructure les besoins en cobalt, lithium, cuivre, nickel ou manganèse. Le rapport de la BAD mis en ligne le 25 novembre, qui constitue l’un des diagnostics les plus complets à ce jour, souligne que l’Afrique demeure prisonnière d’un modèle d’exportation brute hérité de l’histoire. L’essentiel de la valeur ajoutée est capté hors du continent, dans les segments avals du raffinage, de la métallurgie et des technologies liées aux batteries et aux énergies propres.
Si le continent concentre certains des gisements les plus stratégiques au monde, il reste marginal dans les étapes industrielles, indique la BAD qui rappelle que malgré 29% des réserves mondiales de bauxite, l’Afrique ne pèse pas 1% dans le raffinage de l’alumine. Avec 64% du manganèse mondial, elle demeure quasi absente des segments de transformation. Et malgré 7% des réserves de nickel, elle n’en raffine que 2%.
Cette incapacité à convertir les ressources en industrie se lit aussi dans les échanges commerciaux: la majorité des pays africains exportent des minerais primaires et réimportent ensuite à prix élevé les produits transformés dont dépend leur développement, du cuivre affiné aux composants électroniques en passant par les fertilisants et les batteries.
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La BAD insiste sur un point central notamment la connaissance géologique du continent qui demeure lacunaire. Par contre, les sous-investissements chroniques dans la cartographie, les forages, les agences nationales et les laboratoires ont laissé la production d’informations entre les mains d’acteurs étrangers. Cette dépendance limite la capacité des États à négocier des contrats intégrant des obligations de transformation locale, de transfert de technologie ou d’intégration industrielle.
Cependant, les conséquences sont directes, illustrées par les pays miniers qui se retrouvent dans une position structurellement défavorable ce qui réduits à céder des concessions sur la base de données qu’ils ne maîtrisent pas, en plus d’être incapables d’imposer un véritable contenu local.
Le rapport illustre l’asymétrie par des chiffres édifiants. En sidérurgie, l’Afrique ne représente que 4% de la production mondiale d’acier, alors même qu’elle possède des réserves considérables de minerai de fer et que la demande interne en infrastructures devrait théoriquement soutenir un marché continental robuste. La consommation d’acier y atteint à peine 40 kg par habitant et par an, contre plus de 1.000 kg en Chine.
Selon le rapport, l’aluminium révèle le même déséquilibre avec 29% de la bauxite mondiale, mais seulement 2% de l’aluminium produit. À l’heure où ce métal est au cœur de la transition énergétique– panneaux solaires, transport électrique, aéronautique ou encore lignes haute tension–, cette absence de stratégie intégrée coûte cher aux économies africaines.
Le rapport indique une autre réalité celle de l’héritage logistique du modèle colonial «pit-to-port», pensé pour exporter rapidement le minerai vers l’Europe et l’Asie. Les lignes ferroviaires et les ports, rarement modernisés, sont dimensionnés pour l’extraction, non pour l’industrialisation.
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Cette configuration limite la création de chaînes de valeur régionales. Les projets de corridors industriels– Lobito, Maputo, Tazara– peinent à se concrétiser, faute d’une énergie fiable, d’un environnement réglementaire harmonisé et d’une intégration régionale suffisamment ambitieuse.
La montée en puissance des batteries et des technologies vertes change la donne. Le cobalt en est l’exemple emblématique avec 70% de la production mondiale qui provient de la République démocratique du Congo. D’un autre côté, le lithium africain, en pleine expansion, attire des investissements au Zimbabwe, en Namibie ou au Mali, mais reste dominé par l’extraction brute. Même constat pour le graphite malgache et tanzanien, exporté sans transformation avancée.
Le rapport souligne que sans capacités locales de purification, de raffinage ou de production de précurseurs de batteries, le continent restera un maillon faible dans un secteur qui pourrait pourtant devenir un moteur d’industrialisation.
Les données de la BAD sont catégoriques: la Chine concentre entre 60% et 90% du raffinage mondial des métaux critiques. Cette domination n’est pas liée aux ressources, mais à une stratégie industrielle cohérente, soutenue par un accès massif au capital, une montée en gamme technologique assumée et une politique énergétique compétitive.
Pour la BAD, la seule manière de rééquilibrer ce rapport de force consiste à déployer des zones industrielles régionales adossées à de puissants corridors logistiques, à investir massivement dans des capacités énergétiques fiables et à nouer des partenariats public-privé visant la montée en gamme technologique et les transferts de compétences.
A ce titre, le chiffre de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité résume là lui seul la fragilité structurelle du continent. Un tel déficit rend extrêmement difficile la transformation locale du nickel, du cuivre, de l’aluminium ou du fer, dont les procédés nécessitent une énergie abondante, bon marché et continue.
Le cas de l’Afrique du Sud, autrefois puissance sidérurgique, montre les effets dévastateurs d’une crise énergétique prolongée sur la compétitivité industrielle.
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Dans son rapport, la BAD identifie un tournant majeur notamment l’effondrement des coûts du solaire photovoltaïque qui est en baisse de 90 % entre 2010 et 2024. Cette dynamique crée une fenêtre de compétitivité unique pour l’Afrique, capable de produire de l’acier ou de l’aluminium «verts», répondant aux normes carbone exigées par les grands marchés, notamment l’Union européenne et son mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM).
Cette opportunité ne pourra toutefois être exploitée que si les politiques industrielles s’alignent sur la disponibilité énergétique, la localisation des gisements, la qualité des infrastructures et la stabilité réglementaire. Le rapport cite le Maroc comme exemple d’écosystème cohérent, articulant ressources naturelles, industrie chimique et développement d’une chaîne de valeur autour du phosphate.
La BAD identifie la construction de hubs régionaux comme la clé du décollage industriel. La DRC-Zambia Battery Precursors Zone illustre cette logique, tout comme le corridor de Lobito qui relie les zones minières de la RDC et de la Zambie au port angolais.
L’enjeu est clair car sans infrastructures transfrontalières, sans mutualisation des volumes, sans harmonisation réglementaire, aucune montée en gamme ne sera possible. Ainsi avec la généralisation des normes ESG (Environnement, Social et Gouvernance) et des exigences de traçabilité internationale, notamment pour les batteries et l’acier bas carbone, le continent doit se repositionner.
Le rapport souligne que la formalisation de l’artisanat minier peut devenir un atout stratégique si elle garantit des conditions de travail décentes, une traçabilité complète et une réduction durable des risques environnementaux et sociaux.
À défaut, les métaux africains risquent d’être exclus des chaînes de valeur premium, celles qui génèrent les marges les plus élevées.
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Ainsi pour la première fois, sous présidence sud-africaine en 2025, les minéraux critiques sont placés au cœur des discussions du G20. Le rapport de la BAD souligne que les grandes puissances reconnaissent désormais l’impératif de sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement tout en soutenant, du moins en principe, la transformation locale dans les pays producteurs.
Un changement de paradigme semble s’esquisser celui de passer d’un modèle «winner takes all» à une logique d’investissements conjoints et de partage de la valeur ajoutée.
