Cameroun: des prétendants à l’après-Biya placent leur pions

Paul Biya (Cameroun): à 92 ans dont 42 ans au pouvoir, il est le président le plus âgé encore en activité dans le monde. Celui qui dirige le Cameroun depuis 1982 compte se représenter en octobre prochain pour un autre mandat à la tête de ce pays d'Afrique centrale.

Le 04/07/2025 à 07h42

Sur le grand échiquier de la politique camerounaise, des prétendants à l’après-Biya ont commencé à placer leurs pions, pendant que le chef de l’État de 92 ans poursuit son jeu habituel, sans se soucier de ses adversaires.

A peine trois mois avant l’élection présidentielle d’octobre, le président Paul Biya, qui tient le Cameroun d’une main de fer depuis plus de 42 ans, a connu deux défections dans ses rangs en moins d’une semaine.

Issa Tchiroma Bakary, ministre chargé de l’Emploi et de la Formation professionnelle, a quitté le gouvernement avant de se déclarer candidat à la présidentielle dans la foulée sous la bannière de son parti, le Front pour le salut national du Cameroun (FSNC).

Réaction du gouvernement? M. Tchiroma a été remplacé via un simple communiqué indiquant que le président Biya a fait désigner un ministre pour «assurer la continuité du service public». Nulle mention de la démission.

Deux jours plus tard, un ministre d’État, Bello Bouba Maïgari, ancien Premier ministre, a déclaré à son tour sa candidature. Responsable de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), un parti allié à M. Biya, il faisait figure d’allié historique depuis près de 30 ans.

Réaction du camp Biya? Fame Ndongo, qui dirige la communication du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), clame lundi en une du quotidien gouvernemental Cameroon Tribune qu’«il n’y a rien de nouveau».

«Volonté de la base»

D’après lui, Paul Biya aurait même «décodé, depuis belle lurette, les signes prémonitoires de ces départs qui participent du jeu politique classique, dans une démocratie libérale et avancée».

Les deux néo-candidats, tous deux bientôt octogénaires, ont certes déjà affronté à la présidentielle M. Biya. Mais c’était il y a plus de 30 ans, lors du scrutin de 1992.

M. Tchiroma sortait alors fraîchement de prison et M. Maïgari revenait d’exil. Mais après leur défaite, les deux barons, originaires du nord du pays traditionnellement acquis au régime, s’étaient rangés derrière le président Biya.

Selon le professeur Séverin Tchokonte, de l’université de Garoua (nord), «les populations (du nord) croupissent dans la misère (et une) paupérisation insoutenable. Soutenir le régime pendant autant de temps signifierait trahir ces populations qui n’ont pas d’eau, pas d’électricité, pas d’infrastructures de bien-être minimal».

Ainsi, Yaya Saïdou Maïdadi, secrétaire à la communication de l’UNDP, assure que «c’est la volonté de la base de voir le président Bello (Maïgari) se représenter».

Plus direct, Issa Tchiroma tance un gouvernement incapable de répondre aux aspirations populaires. «Certes, on n’a pas pu vous sortir de la misère hier, mais aujourd’hui si on s’unit (...) on peut le faire», affirmait-il mi-juin durant un rassemblement à Garoua.

En 2018, seuls 3,5 des 6,6 millions d’inscrits ont pris part à la présidentielle, selon des chiffres de l’université de Bordeaux. Et l’élection avait été émaillée de violences.

Jusqu’alors, le pouvoir reposait sur un consensus entre le RDPC et ses alliés.

Mais aujourd’hui, les conditions économiques dramatiques pourraient mobiliser les électeurs camerounais, pourtant habitués à l’apathie électorale.

Par ailleurs, M. Tchiroma évoque publiquement une possible non-candidature de Paul Biya, dont les rumeurs sur la santé chancelante se multiplient alors que ses apparitions publiques se raréfient.

En revanche, dans les débats politiques sur les antennes des radios et télévisions, les deux prétendants se font taxer de marionnettes, accusés de saper les chances de l’opposition, dont celles de Maurice Kamto, un opposant en vue du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC).

«MM. Maïgari et Tchiroma sont avec le RDPC depuis longtemps. Ils peuvent être dans une logique d’émiettement et d’affaiblissement de l’opposition, afin de contenir la montée en puissance du MRC de Maurice Kamto (...). Si le MRC engrange des voix dans le nord, les choses peuvent basculer», estime le professeur Tchokonte.

Les intéressés s’en défendent. Pour réussir leur retour vers l’opposition, ils devront tenir compte de la volonté de changement qui se manifeste chaque jour au Cameroun, notamment sur les réseaux sociaux.

«Tourner la page»

Selon Anicet Ekane, président du parti d’opposition Manidem (Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie), opposant depuis 1973, cette volonté est «grande et transrégionale».

«Il sera de plus en plus difficile de ne compter que sur la capacité de l’élite à passer une consigne de vote et éviter un mouvement national contre le pouvoir», assure-t-il.

De son côté, le groupe des Partisans du changement du Grand Nord souhaite «fédérer toutes les énergies susceptibles de permettre au Cameroun de tourner la page» des 43 ans du régime Biya.

Imperturbable, le président multiplie les messages politiques de pré-campagne. Officiellement et conformément aux statuts de son parti, il demeure le candidat du RDPC à la présidentielle.

«Je puis vous assurer que ma détermination à vous servir demeure intacte», déclarait-il en décembre. En février, il demandait aux Camerounais de «ne pas prêter l’oreille aux sirènes du chaos que font retentir certains irresponsables».

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 04/07/2025 à 07h42