Les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), logées dans de prestigieux lycées français comme Louis-le-Grand de Paris ou encore Sainte-Geneviève à Versailles, font rêver de nombreux élèves africains. Ces apprenants des séries scientifiques fournissent d’importants efforts à l’examen du baccalauréat, pour décrocher une bourse d’excellence, précieux sésame qui leur permettra de poser leurs cartables dans ces établissements de renom. Mais une fois sur place, leurs espoirs se muent souvent en cauchemar.
Dans ces établissements qui préparent en deux ans, les candidats aux concours d’entrée dans les grandes écoles et les écoles d’ingénieurs, le séjour est loin d’être un long fleuve tranquille. Loin de leurs repères, ces adolescents qui débarquent pour la première fois à l’étranger, éprouvent des problèmes d’intégration. A cela s’ajoutent l’importante charge de travail dans ces CPGE, voire le manque de soutien des professeurs.
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En clair, les étudiants y effectuent près de 30 heures de cours par semaine, des khôlles, ces interrogations hebdomadaires pour les préparer au concours, des devoirs sur table, une vingtaine d’heures de travail à la maison… Bref, une vie sociale perturbée. Sans compter un éventuel redoublement ou le passage en troisième année de licence à l’université. Une pression psychologique qui pousse bon nombre d’étudiants africains à abandonner leurs études, hypothéquant ainsi leur avenir.
Pour éviter ces scénarios dramatiques, des pays africains, comme le Sénégal, ont décidé de lancer leurs propres classes préparatoires, calquées sur le modèle français. La première expérience du genre a démarré depuis la rentrée universitaire 2022-2023, à travers deux classes implantées l’Ecole Polytechnique de Thiès (EPT), située dans la région de Thiès, à 70 km de Dakar. La première promotion compte 50 élèves sélectionnés parmi 500 candidats retenus à l’issue du Bac.
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Ils y passeront deux années de formation dans deux filières: «mathématiques, physique et sciences de l’ingénieur (MPSI)», et «physique, chimie et sciences de l’ingénieur (PCSI)». Deux nouvelles filières, l’informatique et les sciences de la terre, devraient s’y greffer prochainement, pour mieux outiller les étudiants, dans l’exploitation des futures richesses minières du pays.
Pas moins de huit professeurs sénégalais, français et tunisiens assurent les cours. «Nous visons un triple objectif. D’abord, il s’agit de renforcer et de diversifier l’offre pédagogique de notre système éducatif, ensuite donner l’option à nos brillantes étudiants bacheliers de poursuivre leurs études dans leurs propres milieux sociaux affectifs avec les standards de qualité requis en réduisant les risques de déperdition liés aux études à l’étranger d’autant plus que pour la plupart des jeunes bacheliers, il s’agit du tout premier séjour loin de la famille», avait déclaré le président Macky Sall, lors du lancement des travaux.
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Pour de nombreux observateurs sénégalais, c’est l’ «affaire Diary Sow», qui aurait vraisemblablement poussé les autorités à mettre en place ce projet. Inscrite en classe préparatoire scientifique au Lycée Louis-le-Grand, cette étudiante, qui avait décroché le prix du meilleur élève au Concours général sénégalais en 2019, avait disparu dix-sept jours en janvier 2021. Une disparition qui avait défrayé la chronique et suscité une vague émotionnelle, notamment sur les réseaux sociaux. Une attitude qui résulterait de la forte pression psychologique dans son établissement.
Au total, 168 étudiants sénégalais avaient bénéficié d’une bourse d’excellence pour poursuivre leur cursus dans les CPGE à l’étranger, en 2020 et 2021. Mais en 2022, l’Etat a décidé de n’octroyer aucune bourse pour former ces « cracks au pays, et éviter une affaire similaire. A l’issue des deux années d’études, ils pourront intégrer les écoles d’ingénieurs sénégalais comme EPT ou l’Ecole militaire de santé, ou passer les concours des grandes écoles.
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En Côte d’Ivoire aussi, les CPGE locales deviendront une réalité à partir de la rentrée 2023-2024. Des classes préparatoires scientifiques dans le domaine de la technologie et sciences industrielles (TSI), sur le modèle français, qui permettront aux étudiants ivoiriens d’être mieux outillés pour réussir aux concours aux grandes écoles et écoles d’ingénieurs. Une initiative qui entre dans le cadre du Programme de l’Académie des talents du ministère ivoirien de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle. Elles s’ajouteront aux classes préparatoires déjà fonctionnelles de l’Institut national polytechnique Félix Houphouet-Boigny.
Si Dakar et Abidjan ont décidé de développer cette offre éducative, c’est parce qu’ils se sont probablement inspirés d’une success-story africaine dans ce domaine : le lycée d’excellence de Benguérir (Lydex) au Maroc. Depuis sa création en 2015 par la Fondation du groupe OCP, les CPGE de cet établissement, bâti dans la ville verte Mohammed VI, a réussi à placer plus de 400 élèves dans les grandes écoles françaises. En 2022, sur les 24 élèves admissibles à l’Ecole polytechnique de Paris (X), 14 ont passé avec succès l’épreuve orale. 13 ont choisi d’intégrer X, tandis qu’un élève a opté pour l’Ecole normale supérieure de Lyon (ENS).
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Autrement dit, 14 élèves marocains sur les 33 admis à X après le concours écrit et l’oral proviennent du Lydex. En outre, 20 élèves ont intégré CentraleSupélec. Mieux, l’un des admis est sorti major du concours de cet établissement, dans la filière technologies et sciences industrielles.
Ses belles performances ne sont pas le fruit du hasard. C’est le résultat d’une politique d’excellence mise en place depuis sept ans par les responsables de cet établissement. Des enseignants de qualité, une mixité sociale et géographique, une discrimination positive, dès processus de sélection, pour les étudiants dont les parents ou tuteurs sont parmi les démunis…Et pas que. 90% des élèves sont totalement pris en charge. Et ceux dont les parents n’ont pas les moyens perçoivent une bourse supplémentaire pour la prise en charge de leurs dépenses annexes.
Autant de mesures qui permettent à leurs étudiants d’être bien formés dans leur propre pays, pour briller sur la scène internationale. Le souhait de Dakar et d’Abidjan.