Algérie. Les retraites: l'autre bombe sociale qui fait paniquer le régime

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Le 15/05/2020 à 12h39, mis à jour le 16/05/2020 à 13h28

Pris à la gorge par la crise financière et après le Hirak, le gouvernement veut désamorcer l'autre bombe sociale qui pourrait exploser d'un moment à l'autre. L'âge du départ à la retraite a ainsi été repoussé de manière inédite, mais de façon à ne pas éveiller les soupçons des syndicats.

Après le Hirak qui empêche le régime de dormir, la crise sanitaire qui a fait 529 victimes à ce jour, le chômage qui touche près de 30% des jeunes, Alger doit sans cesse renflouer le système de retraite. 

Ce dernier, qui coûte, chaque année, des centaines de milliards de dinars au budget de l'Etat à cause de subventions exorbitantes sur le dos du Trésor est une véritable bombe sociale. 

Le gouvernement vient de décider discrètement de porter l'âge du départ à la retraite à 65 ans (contre 60 auparavant), dans un décret du Premier ministre Abdelaziz Djerrad publié dans le Bulletin officiel du pays.

Afin d'éviter tout affrontement avec les syndicats, le décret parle d'option donnée aux salariés pour choisir eux-mêmes de partir ou non à la retraite à l'âge de 60 ans. Ils pourront ainsi rester dans l'administration de manière optionnelle. «Le (la) travailleur(se) peut opter, à sa demande, pour la poursuite de son activité au-delà de l’âge légal de la retraite dans la limite de cinq ans», stipule en effet le décret. 

L'Etat algérien espère ainsi gagner quelques précieuses années de plus dans la durée des cotisations des salariés afin de réussir la transition démographique d'une Algérie vieillissante. Car les chiffres de la retraite donnent le tournis. 

D'abord son impact sur le budget est très pesant et s'alourdit d'année en année. Ainsi, sur les 1.533 milliards de dinars de déficit budgétaire initialement prévus dans la Loi de finances 2020, selon le ministre des Finances, 700 milliards DA étaient destinés en 2020 à la couverture, par le Trésor, du déficit de la Caisse nationale des retraites (CNR). 

Depuis 2014, cette caisse publique qui verse des pensions à 3,225 retraités affiche un déficit abyssal. Il était de 500 milliards de dinars en 2018 (environ 4 milliards de dollars), et de 601 milliards de dinars en 2019 (soit près de 5 milliards de dollars). Un déficit qui vient encore de s'aggraver en 2020. Selon les estimations les plus optimistes, d'ici 10 ans, en 2030, le Trésor public algérien devra débourser 1.093 milliards de dinars tous les ans pour pouvoir payer les retraites, soit près de 9 milliards de dollars. 

La réforme est donc plus que nécessaire, surtout si l'on sait que les caisses de ce providentiel Trésor public sont plus que jamais vides. En effet, l'Algérie a été obligée de réduire de moitié le budget initial prévu dans la Loi de finances 2020 à cause de la chute des cours du pétrole. 

L'Algérie comptait sur un cours du pétrole de 60 dollars le baril de Brent, soit le double de son niveau actuel. Malheureusement, il sera difficile de comprimer les salaires et les pensions de retraite. Dans la foulée de la hausse des salaires de 11,11% à partir du 1er mai, le gouvernement d'Abdelaziz Djerrad a d'ailleurs pris la décision de revaloriser les retraites de 2 à 7%. 

Quoi qu'il en soit, ce décret qui vise à rallonger la durée de cotisation de manière optionnelle ressemble bien à une goutte d'eau dans l'océan. A supposer même que les salariés algériens y adhèrent massivement, il ne règlera que temporairement la question. Il faudrait des réformes beaucoup plus lourdes qui toucheraient au taux de cotisation, en appauvrissant les ménages un peu plus, mais aussi à un système de capitalisation et non de répartition. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 15/05/2020 à 12h39, mis à jour le 16/05/2020 à 13h28