Algérie: un verdict sévère attendu ce mardi dans le 1er procès de la corruption sous Bouteflika

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Le 10/12/2019 à 08h07, mis à jour le 10/12/2019 à 08h10

La justice algérienne doit rendre mardi son verdict dans le procès pour corruption, historique, de deux anciens Premiers ministres de l‘ère Bouteflika, jugés avec d’autres anciens hauts dirigeants politiques et des grands patrons.

Le procureur a requis de lourdes peines d’emprisonnement contre les 18 accusés présents dans le box, poursuivis pour une série de malversations touchant le secteur automobile et le financement électoral “occulte” d’Abdelaziz Bouteflika, contraint en avril à la démission par un mouvement de contestation populaire inédit.

Il a réclamé une peine de 20 ans de prison ferme à l’encontre de deux anciens chefs de gouvernement, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal.

C’est la première fois depuis l’indépendance en 1962 qu‘étaient jugés des dirigeants de ce rang, et pas n’importe lesquels.

Ahmed Ouyahia, 67 ans, fut quatre fois Premier ministre entre 1995 et 2019, dont trois fois durant les 20 ans de présidence Bouteflika, et Abdelmalek Sellal, 71 ans, dirigea le gouvernement de 2014 à 2017 et quatre campagnes électorales du président déchu.

Le procureur a demandé la même peine, 20 ans de prison, par contumace, pour Abdeslam Bouchouareb, ancien ministre de l’Industrie, en fuite à l‘étranger, et l‘émission d’un mandat d’arrêt international.

Les autres peines requises vont de huit ans d’emprisonnement jusqu‘à 15 ans pour deux ex-ministres de l’Industrie, Mahdjoub Bedda et Youcef Yousfi. Sans compter la confiscation de biens de tous les accusés.

Scandale automobile

Prenant la parole dimanche, pour la dernière fois avant le verdict, les principaux prévenus ont protesté de leur “innocence”.

Abdelmalek Sellal — dont le fils était également jugé — s’est effondré en larmes, jurant qu’il n’avait “pas trahi le pays” et implorant: “Il ne me reste pas beaucoup à vivre. S’il vous plaît, M. le juge, réhabilitez-moi”.

Les accusés comparaissaient pour des affaires de favoritisme dans l’industrie automobile, mise sur pied via des partenariats entre marques étrangères et grands groupes algériens, souvent propriétés d’hommes d’affaires liés à l’entourage du président déchu.

“Certains hommes d’affaires géraient des sociétés écrans tout en bénéficiant d’indus avantages fiscaux, douaniers et fonciers”, selon le procureur, cité par les médias.

Le scandale automobile a entraîné une perte financière pour le Trésor public estimée à plus de 128 milliards de dinars (975 millions d’euros), selon le chiffre donné par l’agence officielle APS.

Mais les débats ont été dominés par les accusations de financement illégal de la dernière campagne électorale de M. Bouteflika.

“La campagne d’Abdelaziz Bouteflika a occasionné une perte au Trésor public estimée à 110 milliards de dinars (soit plus de 830 millions d’euros)”, a accusé le procureur, cité par des médias.

Le “Hirak” – le mouvement de contestation populaire du régime – a été déclenché en février par la volonté du chef de l’Etat et de son clan de briguer un 5e mandat lors de la présidentielle prévue le 18 avril dernier et finalement annulée.

Ali Haddad, ancien président du Forum des chefs d’entreprises (FCE), la principale organisation patronale, a reconnu devant le juge être intervenu dans cette campagne électorale à la demande de Saïd Bouteflika, frère et conseiller du président déchu.

Appelé à la barre comme témoin, Saïd Bouteflika a refusé de répondre aux questions du juge.

“Procès historique”

Ce procès était le premier consécutif aux vastes enquêtes sur des faits présumés de corruption, ouvertes à la suite du départ forcé du président Bouteflika, et soupçonnées de servir opportunément des luttes de clan au sommet dans l’après-Bouteflika.

Pendant tout le procès, ouvert mercredi au tribunal de Sidi M’hamed (centre d’Alger), les prévenus ont nié en bloc, et se sont défaussés les uns sur les autres.

“Je n’ai été ministre que deux mois et demi”, a argué Mahdjoub Bedda. “Je jure que je suis innocent. J’ai été à la direction de la campagne (électorale) une semaine seulement”, a renchéri Abdelghani Zaalane, ex-ministre des Transports.

Les débats se sont déroulés en l’absence de nombreux avocats de la défense qui les boycottaient, dénonçant une “parodie de justice” et un climat de “règlements de compte”.

Le procès a eu lieu pendant les tout derniers jours de campagne pour la présidentielle de jeudi, un scrutin massivement rejeté par le “Hirak”.

“L’Algérie d’avant le mois de février et l’Algérie de maintenant n’est pas la même (…) Nous sommes ici pour appliquer la volonté du peuple (…) Nous voulons un procès historique et (une) morale pour celui qui veut en tirer des enseignements”, a martelé dimanche le procureur avant de conclure le procès.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 10/12/2019 à 08h07, mis à jour le 10/12/2019 à 08h10