Le malaise qui traverse l’Armée nationale populaire (ANP) depuis quelques années avec, à la clé, des purges répétitives enclenchées au temps de feu Ahmed Gaïd Salah, et poursuivies par l’actuel président Abdelmadjid Tebboune et le chef d’état-major par intérim de l’ANP, Saïd Chengriha, se poursuit actuellement par de grands déballages au sommet de la hiérarchie militaire du pays.
Dans ce contexte, des généraux qui ont été arrêtés, et qui n’ont aujourd’hui plus rien à perdre, en profitent pour déballer au grand public des dossiers jusqu’ici tenus secrets.
Dernières révélations de taille en date, celles qui ont été faites par le général Othmane Benmiloud, dit «Kamel», l’ancien patron du Centre principal militaire d’investigation (CPMI), relevant de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA).
Ces faits sont révélés par Saïd Bensedira, lanceur d’alerte très au faits de la situation de l’armée algérienne, qui vient d’être arrêté et incarcéré à la prison militaire de Blida, à 50 km à l’ouest d’Alger, où séjournent actuellement des dizaines de hauts gradés aussi bien de l’appareil militaire que sécuritaire algériens, tous victimes des purges successives orchestrées au cours de ces deux dernières années.
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Selon ce lanceur d'alerte, Othmane Benmiloud a fait des aveux sur une affaire, restée jusqu’ici encore «obscure», celle de l’arrestation qui a mené à l’emprisonnement du général Abdelkader Aït Ouarabi, dit «Hassan», ancien chef du Service de coordination opérationnelle et du renseignement antiterroriste (Scorat), qui se trouve en prison depuis 2015.
Selon ces révélations faites par le général Othmane Benmiloud, c’est lui-même qui avait mis le général «Hassan» sur écoutes et l’avait piégé en enregistrant leur communication téléphonique, ai cours de laquelle celui-ci avait tenu des propos critiques et sévères à l’encontre de feu Ahmed Gaïd Salah, à cette époque ancien chef d’état-major de l’ANP et vice-ministre de la Défense.
Après avoir fait écouter cet enregistrement à l’ancien homme fort de l’armée algérienne de l’époque, celui-ci avait demandé que «Hassan» soit arrêté.
Pour justifier cette arrestation, les hauts gradés de l’ANP, comme à l’accoutumée, avaient inventé une accusation fallacieuse.
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Ainsi, le général Hassan, premier haut gradé du DRS à avoir été jugé et condamné par ses pairs de l’ANP, serait lui aussi une victime collatérale de la féroce guerre des clans que se sont livrés les hauts gradés de l’armée algérienne durant les premières années des mandats successifs du président Abdelaziz Bouteflika.
Cette guerre des clans avait tout particulièrement opposé le clan de Ahmed Gaïd Salah, sorti vainqueur, à celui de Mohamed Mediène dit «Toufik», ancien patron de la DRS, limogé presque une année avant l’arrestation du général «Hassan», avant d’être jeté en prison en 2019 par le vainqueur de ce bras de fer. «Toufik» avait par la suite été condamné à 15 ans de prison par la justice militaire.
Cette affaire avait entraîné de nombreuses questionnements au sein même de l’armée algérienne mais aussi dans l’opinion publique du pays. En effet, depuis l’indépendance du pays, c’était la seconde fois qu’un haut gradé de l’armée algérienne était arrêté et emprisonné, après celle, en février 1993, du général-major Mustapha Belloucif, chef d’état-major de l’ANP sous le mandat de l’ex-président algérien Chadli Bendjedid, et qui avait été condamné par le tribunal militaire de Blida à une peine de 20 ans de prison pour «dilapidation de biens publics».
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Toutefois, à la différence du général-major Mustapha Belloucif, le général Abdelkader Aït Ouarabi, dit «Hassan», n’est pas un haut gradé comme il y en a beaucoup en Algérie. Il dirigeait le fameux Département du renseignement et de la sécurité (DRS), et chapeautait le Scorat, une unité d’élite des services secrets. «Hassan» n’était donc pas connu du grand public, car le décret de sa nomination, à cette période et du fait de sa fonction, était non publiable. Mais comme son mentor, Mohamed Mediène dit «Toufik», il avait été écarté de la direction de la DRS, quasiment une année auparavant.
Un rappel des faits s’impose: voici cinq ans, le 27 août 2015 que «Toufik», spécialiste émérite de la lutte antiterroriste, a été arrêté par une escouade d’une dizaine de véhicules militaires à son domicile, pour des raisons restées depuis «obscure».
Par la suite, Mohamed Mediène a été jugé à huis clos, le 26 novembre de la même année, par le tribunal militaire d’Oran, et condamné à 5 ans de prison ferme. Il était poursuivi pour «destruction de documents et infractions aux consignes». «Toufik», ayant pratiquement purgé l’intégralité de sa peine, devrait recouvrir la liberté d’ici deux mois.
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Outre cette révélation sur les conditions d’arrestation du général Abdelkader Aït Ouarabi, dit «Hassan», le général Othmane Benmiloud a également fait une grave révélation sur un «coup fourré» jugé gravissime de l’armée algérienne. Le général Benmiloud a ainsi révélé avoir saboté, avec le soutien de feu Ahmed Gaïd Salah, l’opération de libération de 7 diplomates algériens qui avaient été enlevés dans le Nord-Mali en 2012. Cette opération, initiée par le général «Hassan», consistait à infiltrer le groupe terroriste, auteur de cette prise d’otage, pour le neutraliser, afin d’exfiltrer les diplomates vivants.
Ce sabotage, le général Othmane Benmiloud y implique non seulement de très hauts gradés de l’armée, dont feu Ahmed Gaïd Salah, mais aussi les généraux-majors Ghali Belkecir, actuellement en exil en Espagne, Wassini Bouazza, l’ex-puissant patron des renseignements algériens, arrêté en avril dernier et purgeant actuellement une peine de prison, ainsi que Abdelkader Lachkhem, l’ancien -et puissant- patron des services de transmission, démis de ses fonctions avant d’être emprisonné. Ces trois ex-hauts gradés de l’armée algérienne étaient très proches de Ahmed Gaïd Salah, ancien vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP.
Il s’agit là, en fait, d’une révélation gravissime. En effet, sur les sept otages enlevés le 6 avril 2012 à Gao (au nord du Mali), seuls cinq étaient revenus vivants en Algérie. En effet, après une première libération de 3 d’entre eux, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), le groupe terroriste à l’origine de cet enlèvement, avait annoncé avoir exécuté le vice-consul algérien retenu en otage le 1er septembre 2012, après l’échec des négociations qui avaient été tenues avec Alger.
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Ensuite, lors de la libération des deux derniers détenus, deux années plus tard, en août 2014, les Algériens avaient su qu’en plus de l’assassinat du diplomate Tahar Touati, le consul Boualem Saies était lui aussi décédé des suites d’une maladie chronique.
C’est dire que cette révélation du général Othmane Benmiloud risque de rouvrir ce dossier, qui était, depuis, sous l’omerta des hauts gradés de l’ANP.
Aujourd’hui, avec ces toutes dernières révélations, on comprend que l’arrestation et l’emprisonnement du général Abdelkader Aït Ouarabi, dit «Hassan», entrent dans le cadre d’une série de changements et de purges qui ont touché plusieurs hauts responsables de l’armée, dont l’appareil sécuritaire, après la chute de l’ex-patron du DRS, le général Mohamed Mediène, dit «Toufik».
Le général «Toufik», qui se trouve actuellement en prison, n’a pas cessé hésité, depuis sa cellule, à prendre la défense du général «Hassan» à maintes reprises, et à demander sa libération, soulignant qu’il avait «dirigé de nombreuses opérations qui ont contribué à la sécurité des citoyens et des institutions de la République» algérienne.
Ces révélations du général Othmane Benmiloud permettront sans doute de rouvrir ce dossier de la prise d’otage du Nord-Mali, d’autant que d’ici deux mois, «Hassan» recouvrira sa liberté, et pourrait reprendre en main ses dossiers, au moment même où les membres du clan de l’ancien chef d’état-major, Gaïd Salah, sont aujourd’hui la cible d’une nouvelle purge, depuis la disparition tragique de leur mentor, au lendemain de la prestation de serment du président algérien, Abdelmadjid Tebboune.
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Rappelons que dans la lignée de ces grands déballages, tout dernièrement, une certaine presse, proche du général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense de 1990 à 1993, a accusé Ahmed Gaïd Salah, l’ancien chef d’état-major et vice-ministre de la Défense d’avoir « ‘actionné’ l’ancien secrétaire général du FLN, Amar Saadani, et l’ancien député Baha Eddine Tliba, pour mener une campagne enragée», contre l’ancien patron du DRS, le général «Toufik».
Ce média avaient aussi souligné que de nombreux «officiers de haut rang {avaient été} arbitrairement condamnés et emprisonnés sur injonction directe de l’ancien chef d’état-major de l’armée», confirmant ainsi les dires du général Othmane Benmiloud.
L’article publié affirmait aussi que le général «Toufik» avait «été condamné dans une affaire montée de toutes pièces par l’ancien chef d’état-major», Ahmed Gaïd Salah, qui voulait se «venger d’un rival».
En clair, le malaise est grand au sein de l’armée algérienne qui perd petit à petit son surnom de «grande muette», à coup de révélations qu’il faut bien qualifier de croustillantes.