Directeur de recherches à l'université de Bab Ezzouar à Alger et président du Club algérien des risques majeurs, l'universitaire Abdelkrim Chelghoum se dit "terrassé et découragé" devant cette catastrophe, selon lui prévisible, et déplore l'absence de "volonté politique".
Question: Depuis plus de 20 ans, des incendies ravagent des milliers d'hectares chaque année. Comment expliquer le manque d’anticipation et la faiblesse des moyens de lutte contre les feux de forêt ?
"Entre 2001 et 2004, l’Algérie a connu quatre phénomènes de risques majeurs: les inondations de Bab El Oued le 10 novembre 2001 (950 morts et 150 disparus), une terrible invasion acridienne dans le Sud, puis un séisme à Boumerdès le 21 mai 2003 (3.000 morts), suivi d’une explosion dans un complexe gazier à Skikda en janvier 2004.
Le gouvernement avait alors décidé de mettre en place une commission d'experts chargée d’élaborer une loi relative à la gestion des risques majeurs dans le cadre du développement durable.
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Cette loi a été votée par le Parlement puis promulguée le 25 décembre 2004. Malheureusement, malgré notre insistance, les textes d'application n'ont jamais vu le jour.
Dans cette loi, il y avait justement les feux de forêt, avec des mesures préventives, toutes les règles de protection, l'aménagement des massifs montagneux, du maquis, des espaces forestiers…
Tout était prévu et écrit: achat d’avions anti-incendie, télédétection, etc.
Q: Quels sont les effets, aujourd'hui, de la non application de cette loi ?
La Protection civile souffre sur le terrain parce qu'il n'y a pas de pistes forestières, ni de points d'eau, ni de tranchées pare-feu.
Tout cela a compliqué l'intervention des sapeurs-pompiers et du génie (militaire) qui joue généralement un rôle très important lors des catastrophes naturelles.
Quand les règles minimales de prévention ne sont pas en place, cela complexifie la gestion de l'intervention pendant la catastrophe. C'est la pire situation, redoutée par tous les experts des risques majeurs.
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L'Algérie a bénéficié d’une pluie de dollars durant des années grâce aux hydrocarbures. Malheureusement, les responsables du pays qui ont promulgué cette loi sans l'appliquer (ndlr: à l'époque du président Abdelaziz Bouteflika) n’ont rien fait.
Pourtant, nous avions tout anticipé. S'il y avait eu une volonté politique, on se serait mieux préparé.
Je suis terrassé et découragé à la fois.
Q: Quel est l'impact des changements climatiques sur ces incendies et le patrimoine forestier ?
L'Algérie a été identifiée comme un +hotspot+ du changement climatique dans le dernier rapport des experts climat de l'ONU.
La désertification et la sécheresse représentent un risque majeur en Algérie avec le stress hydrique, les incendies de forêts dévastateurs et surtout les inondations. Les pouvoirs publics se devaient d'être prêts.
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Nous, en tant qu'experts et société civile, nous n'avons cessé de les informer et de les alerter.
Il s'agit d'un problème de sécurité nationale.
Il y a une dizaine de risques majeurs qui menacent le pays de façon concomitante et régulière.
Les menaces existent déjà. Elle sont là. Un risque majeur se gère par l'anticipation, la prévision et la prévention".