Algérie: les enfants cancéreux traités avec des médicaments périmés

DR

Le 20/09/2021 à 15h12, mis à jour le 20/09/2021 à 15h37

La pénurie de médicaments a atteint des niveaux alarmants pour certains malades. C’est le cas des enfants cancéreux, désormais soignés avec des médicaments périmés. Les professionnels tirent la sonnette d’alarme et les familles des patients recourent au système D.

La pénurie de médicaments perdure de manière inquiétante. Plus de 330 médicaments ne sont pas disponibles depuis plus d’une année, selon le Syndicat national des pharmaciens d’officine (Snapo). Ces pénuries concernent un large spectre de pathologies: tensions artérielles, problèmes cardiaques, insuffisance rénale, rhumatisme, cancer… Et certains malades sont particulièrement touchés, notamment ceux atteints de cancer.

Conséquence, ces patients ne sont pas traités convenablement et des interventions chirurgicales sont reportées à cause des ruptures de médicaments. Or, en matière de cancer, le retard dans la prise en charge a des effets négatifs sur le pronostic et la survie des malades.

Les professionnels de la lutte contre le cancer tirent donc, pour la énième fois, la sonnette d’alarme afin que les autorités corrigent le tir et sauvent des vies humaines, notamment des enfants atteints de cancer.

A commencer par Kamel Bouzid, président de la Société algérienne d’oncologie médicale (SAOM), qui a dénoncé la situation désastreuse de prise en charge des cancéreux, dans un entretien accordé récemment au média en ligne TSA. Outre la transformation de certaines unités de traitement dédiées aux cancéreux en services Covid-19, il met l’accent sur la pénurie de médicaments, aussi bien les classiques que ceux dits innovants.

C’est le cas également de Pr Houda Boudiaf, chef de service d’oncologie pédiatrique au Centre Pierre et Marie Curie (CPMC) d’Alger qui explique, dans une déclaration reprise par Le Soir d’Algérie, «nous avons hospitalisé récemment plusieurs enfants leucémiques malgré la surcharge, mais malheureusement, la Vincristine et l’Asparaginase sont en rupture». Et à cause de cette situation, ajoute-t-elle, «au CPMC, les enfants cancéreux sont traités par des médicaments périmés depuis juin 2021».

Plusieurs médicaments entrant dans le traitement des cancers sont effectivement introuvables en Algérie. C’est le cas notamment du Méthotrexate haute dose, l’Aracytine, l’Asparaginase, la Vincristine…Il s’agit de presque tous les médicaments indiqués dans le traitement des leucémies, tumeurs du cerveau, cancer des os, les lymphomes chez les enfants… Quant aux traitements innovants, bien qu’enregistrés, ils sont indisponibles du fait que les autorités ont jugé leurs prix exorbitants.

Au début, les autorités avaient pointé du doigt le Covid-19 et la baisse des échanges mondiaux. Toutefois, il s’est avéré que le problème était beaucoup plus complexe. Ces pénuries sont subies par l'Algérie et pas par les pays voisins (Tunisie et Maroc). Et la reprise des échanges et l’ouverture du ciel n’ont pourtant pas permis de résoudre ces carences.

Et pour cause, les médicaments sont aussi touchés par la politique du gouvernement visant à réduire la facture d’importation, et ce malgré leur caractère de produits essentiels pour les malades.

Pire, d’après le Pr Bouzid, la situation est devenue complexe du fait que les intervenants se sont multipliés. Il explique que le ministère de la Santé était le seul interlocuteur de leur département. Toutefois, la situation a évolué et en plus du ministère, trois autres interlocuteurs sont apparus: ministère de l’Industrie pharmaceutique (créé en septembre 2020), le secrétariat d’Etat chargé de la réforme hospitalière et l’Agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSS). Et face aux pénuries de médicaments, chacun renvoie la balle à l’autre.

«On ne peut pas travailler sans médicaments. Depuis 45 ans que je m’occupe de cette maladie, jamais on a connu pareille situation», s’alarme le président de la Société algérienne d’oncologie médicale (SAOM).

Conséquence, c’est le système D pour certains. Ainsi, un véritable trafic de médicaments sévit entre l’Algérie et la France depuis la réouverture des frontières. Certains Algériens vivant en Europe en ont fait un business florissant. D’autres s’approvisionnent en faisant intervenir des parents installés dans des pays européens en leur envoyant des ordonnances afin qu’ils puissent se procurer les médicaments dans leur pays de résidence et ensuite leur envoyer. D’ailleurs, beaucoup d’Algériens ne comptent que sur cette entraide pour disposer des traitement désormais introuvables en Algérie.

Parallèlement, la nature ayant horreur du vide, de faux médicaments issus de la contrebande circulent dans le pays, mettant en danger la santé des citoyens.

Par Karim Zeidane
Le 20/09/2021 à 15h12, mis à jour le 20/09/2021 à 15h37