Bénin: l'armée intervient pour déloger les manifestants à balles réelles

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Le 02/05/2019 à 17h33

Après des heures de face-à-face, les forces de l'ordre béninoises ont délogé par tirs d'armes automatiques des centaines d'opposants qui s'étaient rassemblés autour de la résidence d'un ex-président symbole de l'opposition exclue des législatives dont les résultats définitifs étaient attendus jeudi.

Les tirs de rafales ont été entendus à travers le quartier de Cadjehoun et les manifestants, qui avaient dressé des barricades avec des gris-gris vaudou, des pneus en feu ou des planches de bois, ont été forcés de fuir.

Ces derniers avaient dressé des barrages sur les points d'accès autour du domicile de l'ancien président Boni Yayi qui avait appelé à boycotter le scrutin de dimanche. Quelques heures après l'annonce d'un taux d'abstention record, sa résidence avait été encerclée par les forces de l'ordre et ses partisans ont craint qu'il ne soit arrêté.

L'armée béninoise et la police républicaine "ont fait une incursion brutale", a témoigné à l'AFP un proche de l'ex-président présent sur les lieux avec lui.

Il pense avoir vu au moins trois morts lors de cette intervention. "Ils ont fait venir les sapeurs-pompiers pour ramasser les corps. J'ai vu qu'ils emmenaient trois corps. Mais on ne sait pas où ils sont allés", a ajouté cette source.

L'armée a déjà fait usage de balles réelles mercredi soir vers 22 heures, pour déloger les manifestants. Une femme a succombé à ses blessures jeudi matin et un homme, touché par une balle dans le dos, est toujours soigné à l'hôpital de Cotonou.

Le ministre de l'Intérieur a déclaré sur Radio France Internationale (RFI) qu'il y avait "eu quelques actes qui sont allés contre la consigne donnée". "Les sanctions les plus dures seront prises à l'endroit des forces de l'ordre qui sont passées outre la consigne donnée", a déclaré Sacca Lafia.

Toutefois, quelques heures plus tard l'armée et la police ont lancé des rafales en direction des manifestants, sans que l'on connaisse pour l'instant le nombre exact de victimes ou de blessés.

Rues vidées

Les rues de la capitale économique du Bénin, d'habitude si agitées, se sont vidées à partir de 14H00 (15H00 GMT). L'armée contrôlait la circulation et les principales artères de la ville étaient inaccessibles, alors que la Cour constitutionnelle devrait annoncer les résultats définitifs des élections législatives dans l'après-midi.

Les violences ont aussi atteint le Nord. A Kandi, l'une des principales usines de coton du pays - secteur dans lequel le président Talon a fait fortune avant de se lancer en politique - a été incendiée dans la nuit.

"Des manifestants ont mis le feu à l'usine dans la soirée. On n'a encore aucune idée des dégâts mais ils sont énormes. Tout a brûlé", a confié à l'AFP un sapeur-pompier béninois.

Selon un habitant de Kandi joint au téléphone, les manifestants ont même tenté de "s'en prendre aux pompiers qui essaient d'éteindre le feu".

"On n’a pas peur de la mort, un jour on mourra. La démocratie est chère pour nous, peuple béninois", a déclaré un manifestant à l'AFP.

"Nous ne sommes pas d’accord que (le président) Talon puisse tuer notre démocratie comme cela", renchérit un autre conducteur de taxi-moto dans les rues de Cotonou.

"Il croit que nous sommes là pour jouer, mais nous sommes sérieux", s'écrit un autre au feu rouge.

Le Bénin votait dimanche pour élire ses 83 députés, parmi deux partis proches du pouvoir.

Le président Patrice Talon est accusé d'avoir engagé un tournant autoritaire au Bénin, pays modèle de la démocratie en Afrique de l'Ouest.

Chez ses opposants comme au sein de la société civile on l'accuse d'être derrière l'exclusion des grands partis d'opposition - officiellement évincés pour n'avoir pas respecté le nouveau code électoral.

Le taux d’abstention de près de 75%, selon des résultats partiels de la commission électorale, est considéré comme un désaveu pour le chef de l'Etat même s'il est assuré de voir les partis proches du pouvoir remporter la majorité au Parlement.

Mardi, les anciens présidents Boni Yayi (2006-2016) et Nicéphore Soglo (1991-1996) ont lancé un ultimatum au président Talon pour interrompre le processus électoral.

"Talon marchera sur nos corps" avant d'entériner le nouveau Parlement, avait averti Boni Yayi.

Amnesty International et de nombreuses associations locales de la société civile béninoise ont dénoncé les coupures d'internet ainsi qu'un "niveau de répression alarmant" au Bénin.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 02/05/2019 à 17h33