Avec à sa tête un ex-syndicaliste devenu multimillionnaire, l'Afrique du Sud est décidément le pays des paradoxes. L'African national congress, le parti fondé par Nelson Mandela et par Steve Biko est aussi celui du très corrompu Jacob Zuma, tombé l'année dernière après une ultime motion de défiance. Et ce ne sont là que quelques exemples des incongruités de la nation Arc-en-ciel.
En effet, le pays vote ce mercredi 8 mai 2019 et c'est étrangement l'ANC, grangrené par la corruption, qui devrait encore remporter les législatives et les provinciales, ce qui placera Cyril Ramaphosa à la tête du pays pour un premier mandat électif. Sauf surprise...
Actuellement, il assure l'intérim de la présidence après la chute de son compagnon de lutte, Jacob Zuma.
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Il est étonnant, en effet, que l'ANC soit le favori des sondages à cause de ses multiples échecs dans la gestion du pays. D'abord, le pays de Nelson Mandela a trahi la belle promesse qu'était celle de la fin de l'apartheid. Car si le régime raciste a pris fin, les inégalités sont aujourd'hui encore plus criantes. 70% de la richesse nationale est entre les mains des 10% les plus nantis, dont les dirigeants de l'ANC font tous partie.
C'est d'ailleurs pourquoi certains estiment que les Economic Freedom Fighters (EFF -Combattants de la liberté économique), le parti de Julius Malema, devraient continuer à grapiller dans l'électorat jeune de l'ANC.
Lors des élections locales de 2016, les EFF avaient alors été les faiseurs de roi et permis à l'Alliance démocratique (ou DA, Démocratic Alliance) de remporrer des villes emblématiques comme Pretoria ou Johannesburg.
L'ANC n'avait alors obtenu que 54% des voix exprimées sur l'ensemble du territoire, soit son pire score depuis la fin de l'apartheid.
Ce scénario pourrait encore se répéter, l'AD étant encore perçue comme une parti de blancs, même si à sa tête se trouve, depuis 2015, le tonitruant Mmusi Maimane, qui n'a que 38 ans, mais n'en est pas moins très charismatique.
Cet homme, dont la mère est issue de l'ethnie Xhossa, celle de Mandela, et son père de l'éthnie Tswana, a su permettre à la DA de transcender son caractère de "parti de blancs".
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Mais au-delà de la menace réelle de DA, deuxième force politique du pays et des EFF, devenus troisième formation politique en 10 ans d'existence, l'ANC se sent encore maître en Afrique du Sud.
Les derniers sondages accordent à ce parti historique de 50 à 61% des suffrages, très loin devant ses principaux rivaux. C'est pourquoi Ramaphosa pense que la victoire lui est acquise.
"Nous savons que nous serons au gouvernement demain. Cette victoire, je peux la sentir, je peux la toucher", a lancé, hier dimanche, Ramaphosa devant près de 70.000 partisans enthousiastes massés dans le stade d'Ellis Park à Johannesburg.
Sa campagne fut pourtant loin d'être une partie de plaisir. L'ex-syndicaliste devenu multimillionnaire, longtemps dauphin pressenti de Nelson Mandela, a hérité fin 2017 d'un ANC en pleine crise de confiance, usé par les neuf ans du règne agité de scandales de son prédécesseur Jacob Zuma.
L'arrivé de Cyril Ramaphosa a permis de faire oublier, momentanément du moins, les scandales de l'ex-chef de l'Etat.
Néanmoins, le chômage est endémique, son taux dépasse même 50% chez les jeunes, la pauvreté et les inégalités progressent, tout comme la criminalité. Ce sont sur ces points que la DA et les EFF insistent pour faire pencher la balance de leur côté.
"Ce scrutin doit être un choix (...) entre la destruction de notre pays au profit d'une petite mafia et la construction d'une Afrique du Sud sûre, prospère et inclusive au profit de tous", a résumé Mmusi Maimane.
"Ils ont été un moment nos libérateurs, mais aujourd'hui nous devons nous libérer d'eux", a-t-il lancé au sujet de l'ANC.
Sauf que voilà: les Sud-africains ne sont pas encore prêts pour divorcer de l'ANC.
La DA est créditée de 15% à 25% des intentions de vote, alors que les EFF pourraient franchir la barre symbolique des 10%, ce qui est nettement mieux que leur score de 6,5% lors des dernières élections.