A N'Djamena, la capitale tchadienne, une dizaine de femmes portant des voiles chatoyants et d'hommes attendent en file devant un bureau de vote, qui a ouvert avec une heure de retard.
"C'est important de voter car j'aime mon pays et je vote pour le Maréchal car grâce à lui, je suis libre de me promener où je veux, jour et nuit, en toute sécurité", déclare à l'AFP Bernadette, une commerçante de 25 ans.
Dans la capitale, les urnes et isoloirs arrivent progressivement, et de nombreux bureaux visités par l'AFP n'ont pas ouvert à l'horaire prévu.
De nombreux soldats d'élite de la Garde républicaine sont déployés devant le bureau de vote Carré 3 Hassan Ibrahim dans le centre-ville, où le chef de l'Etat doit voter, a constaté un journaliste de l'AFP.
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"C'est plus qu'important de venir voter, c'est un devoir. Je vote pour le Maréchal Déby car il a apporté la sécurité dans le pays", déclare Marcelline, une femme au foyer de 58 ans.
Le véritable enjeu de ce scrutin reste la participation. Lors de son dernier meeting de campagne vendredi, le chef de l'Etat a exhorté ses partisans à "voter massivement". Quelque 7,3 millions d'électeurs, sur une population de 15 millions d'habitants, sont appelés aux urnes. L'opposition la plus critique au président Déby a appelé au boycott du scrutin.
N'Djamena est très calme dimanche, les rues sont quasi vides à l'heure de l'ouverture des buraux de vote, avec un important déploiement de policiers et de militaires qui quadrillent toute la ville.
Le maréchal Déby fait campagne principalement sur la "paix et la sécurité" dont il dit être l'artisan, dans son pays mais aussi dans une région tourmentée: le Tchad, enclavé entre la Libye, le Soudan, la Centrafrique entre autres, est un contributeur de poids au combat contre les jihadistes au Sahel, en projetant des troupes aguerries jusqu'au Mali et parfois au Nigeria.
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La majorité des habitants semblent cependant se désintéresser d'un scrutin "joué d'avance" et tentent péniblement de joindre les deux bouts, entre deux coupures d'eau et d'électricité, parfois plusieurs jours d'affilée.
Le Tchad est classé au 187e rang sur 189 au classement selon l'Indice de Développement Humain (IDH) du programme des Nations Unis pour le développement (Pnud) en 2020. En 2018, 42% de la population vivait sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale.
Depuis plusieurs mois, le régime interdit systématiquement les "marches pacifiques pour l'alternance" que tentent d'organiser chaque samedi les partis d'opposition les plus virulents. Et la redoutable police anti-émeute disperse manu militari chaque début de rassemblement, lesquels n'attirent pas plus que quelques dizaines de convaincus ou téméraires. L'ONG Human Rights Watch a qualifié jeudi de "répression implacable" cet usage de la force.
Les rues de N'Djamena sont restées calmes samedi. Les policiers anti-émeute ont patrouillé dans toute la ville à bord de pick-ups, de blindés légers et de camions massifs surmontés de canons à eau.
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Des soldats d'élite aux bérets rouges de la Garde républicaine, la redoutable garde prétorienne du régime, sont positionnés massivement aux endroits les plus sensibles. Des policiers et militaires sont stationnés près des sièges des partis appelant au boycott du scrutin et à marcher contre le président.
Les résultats provisoires sont prévus le 25 avril, et les résultats définitifs le 15 mai.
"Certain de gagner"
Il y a deux mois encore, 15 partis d'opposition regroupés dans une Alliance victoire propulsaient un "candidat unique" face à Déby, qui a volé en éclats.
La Cour suprême a invalidé les candidatures de sept des 16 prétendants. Puis trois candidats, dont le rival "historique" Saleh Kebzabo, se sont retirés pour protester contre les violences et ont appelé au boycott du scrutin, mais la Cour a maintenu leurs noms sur les bulletins de vote qui affichent donc 10 candidats.
Six seulement défieront le président: Félix Nialbé Romadoumngar, Albert Pahimi Padacké, Théophile Yombombe Madjitoloum, Baltazar Aladoum Djarma, Brice Mbaïmon Guedmbaye et, première femme candidate de l'histoire du Tchad, Lydie Beassemda.
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Déby "a su rouler tout le monde dans la farine (...) c'est lui qui tire leurs ficelles", résume le politologue Evariste Ngarlem Tolde, de l'Université de N'Djamena.
"Qui les empêche de se présenter? Personne", rétorque Jean-Bernard Padaré, porte-parole du puissant Mouvement Patriotique du Salut (MPS) de Déby, fustigeant ceux qui se sont retirés, comme Kebzabo, et appellent au boycott. "Le jeu est ouvert mais ils sont les chefs de partis sans militants", assène-t-il.
"Sans les candidats historiques et avec les moyens considérables mobilisés par Déby, il est certain qu'il va gagner", résume Kelma Manatouma, chercheur tchadien en sciences politiques à l'Université Paris-Nanterre.
"La seule chose qui compte aux yeux de Déby, c'est de l'emporter dès le premier tour avec une participation importante, pour qu'on ne lui objecte pas qu'il a été mal élu", résume un diplomate sous couvert de l'anonymat.