Qui sont les jihadistes du Burkina Faso?

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Le 25/01/2022 à 17h19, mis à jour le 25/01/2022 à 17h19

Qui sont les hommes qui font régner la terreur au Burkina Faso? S’agit-il de véritables jihadistes ou bien de «bandits jihadisés»?

Dans ma précédente chronique, j’ai posé le problème de l’insécurité au Burkina Faso. Aujourd’hui, je vais tenter de voir qui fait régner cette insécurité et qui entretient ce climat de terreur qui déstabilise le pays. Qui sont les hommes qui font régner la terreur dans le pays? S’agit-il de véritables jihadistes ou bien de «bandits jihadisés»?

La réponse est complexe car les composantes de ces groupes sont diverses. Une chose est cependant certaine, le facteur religieux motivant leurs membres est semble-t-il secondaire. Rapidement baptisés «jihadistes», ces insurgés se sont en effet soulevés pour des motifs d’abord locaux dans lesquels la religion est quasiment absente. Selon un rapport du ministère burkinabé de la Justice et des Droits humains publié fin 2021 et qui recense les conflits ensanglantant le pays depuis 2018, seuls 7% sont à base religieuse quand 86% ont pour origine l’opposition ethno-économique historique entre agriculteurs-éleveurs.

Cependant, la nouveauté est que ces conflits traditionnels sont utilisés et même captés par les jihadistes. En réalité, à de petits noyaux de religieux sont venus s’agréger tout ce que les régions concernées peuvent compter de mécontents, de bandits traditionnels, d’orpailleurs, de braconniers et d’éleveurs dont les troupeaux sont razziés.

L’actuelle désintégration du Burkina Faso a donc d’abord des causes endogènes. Ainsi:

– dans le sud-est, le déclencheur de la déstabilisation fut la création de zones faunistiques protégées dont la conséquence fut à la fois la restriction des activités de transhumance, la fin des défrichages, l’interdiction de la chasse, des activités d’orpaillage et parfois même des déguerpissements de populations. Les jihadistes ont promis à ceux qui subissaient cette situation nouvelle de rendre la liberté des terres en supprimant l’immense réserve naturelle d’où les villageois avaient été expulsés et dans laquelle ils autorisent la chasse et l’extraction de l’or.

– Dans le nord du pays, en dehors du cas particulier du Soum, la principale question qui se pose est celle de l’opposition entre colons mossi et indigènes. Ici, la migration de paysans mossi à la recherche de terres exerce une forte pression sur le foncier, d’où des tensions avec les ethnies autochtones.

Le phénomène a été aggravé par la Loi de 2009 sur le foncier rural qui reconnaît la pleine propriété aux migrants agricoles après 30 années d’occupation continue, ce qui est ressenti comme une spoliation par les indigènes qui parlent de colonisation mossi. Or, étant donné que ces colons mossi votent, ils ont donc une influence sur les élections des maires et des chefs de villages lesquels détiennent les clés de l’accès au foncier. Nous sommes là face à une réalité bien étudiée en Côte d’Ivoire avec la colonisation agricole du pays des Kru-Bété par les colons nordistes et baoulé. Un «grand remplacement» en quelque sorte…

– Dans les provinces limitrophes du Macina malien, notamment dans la province du Soum, la création de la filière rizicole a attiré des paysans mossi, gourmantché et fulsé-kurumba. Or, les rizières ont été créées sur des terrains humides qui étaient indispensables aux éleveurs peul. Devenus majoritaires sur certaines parties de la province, ces colons ont contesté l’autorité de l’émir peul dans la désignation des chefs de villages et les jihadistes ont donc facilement profité de l’exaspération des Peul.

– Dans les provinces à importants noyaux de peuplement peul, les conflits opposent éleveurs et agriculteurs. Recrutant chez les Peul, les GAT s’attaquent aux Mossi, lesquels ont constitué des groupes d’autodéfense, les Koglweogo, gardiens de la brousse en mooré la langue des Mossi. Les Koglweogo recrutent également chez les Fulsé (Kurumba). Ces miliciens sont vus comme le bras armé de l’expansionnisme mossi et les Peul qui sont leurs victimes organisent leur auto-défense, vue par les non Peul comme une forme de jihadisme.

Les chefs jihadistes qui recrutent parmi tous ces mécontents ont-ils une stratégie? Ont-ils décidé de déstabiliser le Burkina Faso afin de s’ouvrir un couloir vers les pays du littoral, Bénin, Togo, Ghana et Côte d’Ivoire? Sommes-nous face à la reprise du grand mouvement de poussée de certains peuples sahéliens vers l’Océan, mouvement qui avait été bloqué par la colonisation et qui renaîtrait donc aujourd’hui sous paravent islamique et à la faveur de la déliquescence des Etats? Ou bien ne sommes-nous pas tout simplement en présence de groupes opportunistes n’ayant aucune vocation à la coagulation mais, qui, à l’image des groupes antagonistes qui formèrent la Séléka en Centrafrique, pourraient s’engerber dans une entreprise de razzia régionale?

Par Bernard Lugan
Le 25/01/2022 à 17h19, mis à jour le 25/01/2022 à 17h19