Environ 500 spectateurs ont dû présenter samedi leur carte électorale pour assister à ce concert gratuit organisé notamment par l'Union européenne et la Commission électorale (Inec) à Lagos, capitale économique du pays le plus peuplé d'Afrique.
Ici, la plupart ont moins de 30 ans. Parmi eux, Ugochi, 26 ans, reprend des pas de danse et entonne les airs connus de tous.
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"Tous les ans, je vois le Nigeria aller de pire en pire. Cette fois, on doit s'assurer de changer les choses et surtout, changer nos dirigeants", insiste la jeune femme, toute de noir vêtue.
Les Nigérians sont appelés aux urnes en février 2023 pour élire le successeur au président Muhammadu Buhari, qui termine son deuxième mandat très critiqué pour son bilan jugé catastrophique.
"Il y a énormément de jeunes au Nigeria mais cela ne se traduit pas dans les votes. C'est vraiment important de les appeler à s'impliquer", explique Chinemerem Onuorah de Yiaga Africa, ONG pour la bonne gouvernance, co-organisatrice de l'événement.
- "Plus jamais ça" -
A Lagos, mégalopole de 20 millions d'habitants, seulement 5% des jeunes ont voté à la présidentielle de 2019, selon l'Inec, symbole d'une jeunesse désabusée.
En programmant une dizaine de stars de la musique, les organisateurs espèraient les attirer. D'autant que les Nigérians ont jusqu'à la fin du mois pour s'inscrire sur les listes électorales et ainsi voter lors de la prochaine présidentielle.
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Mais ce samedi, le Trafalgar Balewa Square, lieu du concert, est clairsemé. Les têtes d'affiche qui drainent d'habitude des milliers de jeunes n'ont pas suffi à les appâter. En cause, la pluie qui s'est abattue une bonne partie de la journée, et peut-être un profond désamour pour le système politique.
Après des années de dictatures militaires, le Nigeria a renoué avec la démocratie en 1999 mais la politique reste minée par le clientélisme.
Dans un pays où les moins de 25 ans, avides de changement, représentent près de 60% de la population, beaucoup disent ne pas se reconnaître dans l'élite personnifiée par le président Buhari (79 ans).
Pour ne rien arranger, les deux principaux partis ont officiellement désigné leur candidat pour la future présidentielle: Bola Tinubu et Atiku Abubakar, deux routards de la politique, septuagénaires et accusés de corruption.
Un fossé qui s'était déjà creusé après la répression sanglante en octobre 2020 d'un mouvement de contestation historique au Nigeria, initiée par la jeunesse.
A l'origine contre les brutalités policières puis contre le pouvoir, ce mouvement pacifique surnommé #EndSARS, du nom d'une unité de police accusée de torture, avait particulièrement été soutenu par les stars de la musique.
"On ne laissera plus jamais cela se reproduire. On est l'avenir du pays. Il faut qu'on aille voter massivement pour quelqu'un qui a encore la force", assure Daso Emmanuel, près de la scène, en tenue yorouba bleue.
Le jeune homme de 21 ans votera pour la première fois en février prochain, tout comme son ami, Mayor Akeredolu, 22 ans.
- "Souffrance" -
Les deux disent vouloir voter "en dehors des partis traditionnels", pour quelqu'un de "plus jeune", à qui ils peuvent "s'identifier" et "faire confiance".
Dans la fosse, un nom revient constamment: Peter Obi. A 60 ans, l'ancien gouverneur de l'Etat d'Anambra suscite l'espoir d'une partie de la jeunesse même s'il apparaît bien moins influent que ses adversaires.
La participation à ce scrutin sera l'un des enjeux majeurs: outre, les Nigérians désabusés, il y a ceux qui ne pourront tout simplement pas voter à cause de l'insécurité.
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Chaque mois, les attaques de bandits s'accumulent dans le nord-ouest et le centre du Nigeria, rendant ses routes quasiment impraticables, avec un risque très élevé d'enlèvements. Le nord-est, lui, est le théâtre d'une insurrection jihadiste qui a fait plus de 2 millions de déplacés. Quant au sud-est, il est en proie à une agitation séparatiste. Les bureaux de l'Inec y sont d'ailleurs régulièrement attaqués.
La sécurité sera dont au cœur de cette campagne présidentielle, mais aussi l'économie.
Déjà éprouvée par la pandémie de Covid-19, la première économie d'Afrique subit de plein fouet la hausse des prix provoquée par la guerre entre l'Ukraine et la Russie.
Aujourd'hui, plus d'un tiers des 215 millions de Nigérians vit sous le seuil d'extrême-pauvreté.
"On est fatigué et frustré. Tout le monde veut quitter le pays. J'arrive à gagner ma vie mais autour de moi, je ne vois que de la souffrance", souffle Stéphanie Ohamare, 36 ans.
"Voter, c'est le seul moyen que ça change. C'est maintenant ou jamais."