Former et formater les dirigeants des partis au pouvoir, comment Pékin prépare l'Afrique de demain

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Le 30/06/2022 à 15h21, mis à jour le 01/07/2022 à 09h28

La Chine a financé à hauteur de 40 milllions de dollars la Mwalimu Julius Nyerere Leadership School, qui formera les futurs dirigeants de six partis au pouvoirs africains. Et ce n'est que le début...

Une nouvelle école a récemment vu le jour en Tanzanie. La Mwalimu Julius Nyerere Leadership School, située dans la ville de Kibaha, à 40 km à l’ouest de la capitale Dar es Salam, a accueilli début juin sa première promotion composée de 120 étudiants. Mais cette école est spéciale, du fait que sa mission est de former les futurs dirigeants des partis au pouvoir africains. La Mwalimu Julius Nyerere Leadership School, du nom du premier président de la Tanzanie, Julius Kambarage Nyerere, a en effet été construite par les partis au pouvoir de six pays africains, soit l’ANC de l’Afrique du Sud, le FRELIMO du Mozambique, le ZANU–PF du Zimbabwe, la SWAPO de la Namibie et le MPLA de l’Angola, sans oublier le CCM du pays hôte. Leur intention est claire, ces partis au pouvoir comptent le rester et s’en donnent les «moyens».

Parlant justement de moyens, la Mwalimu Julius Nyerere Leadership School a été financée à hauteur de 40 millions de dollars par le Parti communiste chinois par l'intermédiaire de son département de liaison internationale, a-t-on récemment appris du quotidien South China Morning Post. Quand on sait que ce département est chargé de promouvoir l'idéologie communiste chinoise à l'étranger, cela nous donne une idée du contenu de la formation que recevront les futurs lauréats de cette école.

La marche de l’Empire

La Chine s’est imposée ces dernières années comme l’un des principaux investisseurs en Afrique, avec un stock d’investissement de 47,35 milliards de dollars entre 2000, année de création du Forum sur la Coopération Chine-Afrique, et 2020, selon un rapport de l'Université du commerce international et d'économie de Shanghai. Pour la seule année 2020, l'investissement direct de la Chine en Afrique a atteint à 2,96 milliards de dollars, contre 2,71 milliards de dollars l’année précédente (+9,5%), selon la même source. Les prêts ne sont pas en reste, avec 1.141 engagements d’une valeur de 153 milliards de dollars signés par les investisseurs chinois avec des gouvernements et entreprises étatiques d’Afrique entre 2000 et 2019, selon l’Initiative de recherche Chine-Afrique de l’École d'études internationales avancées de l’Université John Hopkins (Maryland).

Aujourd’hui, au-delà de l'économie, l’Empire céleste cherche donc à étendre son influence géopolitique sur le continent africain. Sa première trouvaille: investir dans la formation des futurs dirigeants de partis au pouvoir africains. Pas des futurs leaders d’un pays, comme le font d’autres puissances (ex: le Mandela Washington Fellowship for Young African Leaders des Etats-Unis). Pékin a donc déjà choisi son camp, en misant sur le maintien des partis au pouvoirs. D’ailleurs, dans une lettre adressée à la première promotion de la Mwalimu Julius Nyerere Leadership School, le président Xi Jinping a exprimé son souhait de voir les pensionnaires de cette école «contribuer activement au renforcement de l'amitié Chine-Afrique et faire progresser la coopération bilatérale».

Mais le géant asiatique ne fait qu’être fidèle à lui-même, dirigé par le Parti communiste depuis 1949. Mais cette politique de la pensée unique est-elle adaptée à l’Afrique, un continent qui a besoin de sa propre voie? Où il existe autant de pays, de peuples que de réalités, de mentalités, etc.? Où gouvernance rime très souvent avec pouvoir à vie ou entre les main de happy few? Où le développement véritable reste un rêve lointain?

L’indépendance, si près et pourtant si loin

Le cas de cette «école des partis au pouvoir» remet sur la table une problématique de longue date de notre continent: à quand la vraie indépendance, qui n'est pas à confondre avec décolonisation? L'Afrique a besoin de s’affranchir du reste du monde sur divers plans, surtout ceux économique et politique. La conjoncture actuelle, caractérisée par une forte inflation des prix des produits alimentaires et de ceux de l’énergie, combinée à des pénuries de ces produits, corollaire du conflit russo-ukrainien, a révélé au grand jour la forte dépendance de notre continent vis-à-vis des puissances étrangères pour couvrir ses besoins.

On se souvient de la récente visite du président de l’Union africaine, Macky Sall, en Russie pour demander à Vladimir Poutine de faciliter l’exportation des céréales ukrainiennes vers l’Afrique… qui regorge pourtant de terres arables non exploitées à foison. Et ne parlons même pas de ses ressources minières, pétrolières et gazières. Dans le concert des nations, également, la voix des pays africains ne porte que lorsqu’elle soutient celle de telle ou telle puissance. 

En tendant la main à un pays étranger, éloigné de nos réalités politiques et sociales, aussi puissant soit-il, pour la formation de nos futurs dirigeants, donc d'acteurs de notre vie politique, n’est-on pas en train de semer les graines d’un nouvel assujettissement, une nouvelle dépendance qui place l’avenir de nos nations entre les main de tiers? Après le financement de la Mwalimu Julius Nyerere Leadership School, qui rompt avec ses méthodes traditionnelles en Afrique, la possibilité de voir la Chine émuler ce modèle ailleurs sur le continent n’est pas à exclure. Où s'arrêtera la marche de l'Empire, qui a d'ailleurs organisé récemment à Addis-Abeba une... conférence de paix pour la Corne de l'Afrique?

Par Mohamed Koné
Le 30/06/2022 à 15h21, mis à jour le 01/07/2022 à 09h28